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Efficacité et démocratie : la dimension territoriale de l’action publique |
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Revenant en 2013 sur les circonstances dans lesquelles fut présenté, en décembre 1966, à Saint-Brieuc, dans la foulée des « Rencontres socialistes de Grenoble », le rapport Décoloniser la province - qui devait consacrer son émergence médiatique sous le nom de Georges Servet -, Michel Rocard raconte : « Un jour, l’inspecteur des finances que j’étais reçut mission d’aller vérifier la dépense publique à la Trésorerie générale d’Auxerre. Ma découverte fût bien sûr immensément plus modeste [que celles de Newton et d’Archimède] mais tout de même. Comment se faisait-il que l’Etat et les collectivités locales payaient tout ce qu’ils achetaient 20 ou 25 % plus cher que chez le détaillant d’à côté ? J’ai beaucoup cherché, et longtemps, j’ai trouvé quelque chose : le temps.
« A l’époque, aucune dépense nationale ni locale n’était possible sans une autorisation parisienne. L’aller et retour du courrier prenait entre 9 et 15 mois. Au taux d’intérêt de l’argent au jour le jour, j’avais ma réponse : le compte y était. Il fallait décider sur place. J’étais devenu décentralisateur. Et comme pour toute décentralisation intelligente il faut des outils pertinents, décider sur place exigeait un outil local de taille significative. Je suis du même coup devenu régionaliste. » Près de cinquante ans après, Michel Rocard ajoute que ce qui procédait à l’origine d’une démarche essentiellement économiste, à la recherche d’une croissance plus efficace, a vite été rattrapé par une approche plus politique, notamment dans les régions vivant une identité culturelle forte comme la Bretagne, la Corse, l’Occitanie ou le Pays basque, centrée sur la question de la démocratie locale. De fait, dans toute la suite de son parcours politique, efficacité économique et démocratie politique ont été indissociables dans son approche de la question territoriale. C’est particulièrement notable dans sa conception du rôle de la planification, dont l’exercice décentralisé était vu comme un moyen d’arbitrer les divergences inévitables entre les intérêts collectifs et les intérêts particuliers, y compris lorsqu’ils étaient ceux de collectivités ou de groupes sociaux, ainsi qu’entre l’intérêt national et celui des différentes régions. C’est d’ailleurs pour cela que son approche de la question du pouvoir a toujours été moins celle de sa conquête et de son exercice que celle de son mode de dévolution - réflexion qui s’est traduite dans la démarche autogestionnaire, notamment. Cette double dimension de l’efficacité et de la démocratie reste plus présente que jamais dans les enjeux de la question territoriale. On l’a mesuré aussi bien à propos de la crise des « gilets jaunes » que dans la gestion de la crise sanitaire de la Covid-19. Pour autant, il ne suffit pas d’invoquer à satiété « les territoires » pour apporter une réponse adaptée à cette problématique. Michel Rocard rappelait dans Décoloniser la province les conditions institutionnelles, économiques et sociales d’un développement autonome et réussi. Et puisqu’aussi bien, comme disait le Général De Gaulle « il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités », il y faut aussi des outils d’information et d’aide à la décision appropriés : dans son rapport de stage en préfecture effectué à l’ENA auprès du préfet de l’Yonne (décidément, ce département aura beaucoup contribué à former la pensée décentralisatrice de Michel Rocard), il soulignait la faiblesse de l’adaptation territoriale des outils statistiques en matière d’emploi pour orienter les politiques de formation et de recrutement. C’est pour rechercher dans la pensée et l’action de Michel Rocard sur ces thématiques des clés pour mieux comprendre notre présent et aborder l’avenir que nous organisons, en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès et l’Institut de recherche de la Caisse des Dépôts et Consignations, un colloque intitulé : « Michel Rocard et la dimension territoriale de l’action publique » le vendredi 12 février. Chercheurs et historiens, acteurs et grands témoins éclaireront ce débat. Compte tenu des restrictions sanitaires en vigueur, ce colloque sera diffusé en ligne : pour recevoir le lien de connexion, inscrivez-vous rapidement. |
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Jean-Pierre Sueur : "Une vision réformatrice, moderne et ouverte" |
L’une de mes premières rencontres avec Michel Rocard a eu lieu en 1968. Nous étions venus, sans préalable, en qualité de représentants de la section PSU des Écoles normales supérieures (ENS) au siège du parti, rue Mademoiselle à Paris, où après avoir franchi l’obstacle impressionnant que constituait à lui seul le gardien des lieux, Marc Heurgon, Michel nous avait reçus et écoutés avec une grande patience. Ce fut le début d’une longue histoire.
Ayant passé ma jeunesse à Roubaix, je ne me sentais aucun « atome crochu » avec les partis gauchistes qui, au sein des ENS, tenaient le haut du pavé. Au PSU, nous paraissions presque « droitiers », lourdement « réformistes ». Je n’imaginais pas rejoindre un parti socialiste encore marqué par les épisodes des dernières années de la SFIO. J’étais séduit par les choix de Rocard et du PSU pour la décentralisation (« Décoloniser la province ») et, plus encore, par une vision réaliste de l’économie dans un processus qui conduirait à une société plus juste. Ce dernier point, surtout, nous fit longtemps, y compris au PS, traiter en parias. Le mot même de marché était tabou. Et lors du débat sur les nationalisations, je me souviendrai toujours des propos de Michel Rocard exposant que nationaliser « à 51 % » était largement suffisant pour exercer le pouvoir – et qu’il n’y avait aucun sens à nationaliser la filiale d’un grand groupe qui produisait des cafetières. « L’État doit-il produire des cafetières ? » avait-il demandé ! J’étais arrivé en 1973 à Orléans où le PSU était bien implanté grâce à Michel de La Fournière, Marcel Reggui, Augustin Cornu, Rémi Blondel, qui m’ont profondément marqué, et tant d’autres… Cela nous valut d’accueillir le congrès du PSU qui choisit d’adhérer à la nouvelle formation politique qui serait issue des « Assises du socialisme ». Ce congrès fut dur, difficile. Ayant alors été chargé des tâches matérielles, je me souviens que le congrès décida de supprimer le déjeuner… dans la grande tension qui dominait… ce que je n’ai plus revu depuis. …La suite, ce fut beaucoup de militantisme et nombre de batailles électorales, qui me conduisirent à être élu député dans la vague de 1981, puis maire d’Orléans. François Mitterrand m’avait dit que je n’y parviendrais pas, la ville étant trop à droite. Y étant parvenu, il m’annonça que l’ayant « bluffé », il me nommerait au sein du gouvernement. C‘est ainsi que le rocardien que j’étais et que je suis toujours, entra dans le gouvernement d’Édith Cresson, puis dans celui de Pierre Bérégovoy, en qualité de secrétaire d’État aux collectivités locales. Là, avec une équipe remarquable, nous avons beaucoup travaillé, faisant voter cinq textes majeurs, dont la loi préparée par Pierre Joxe, revue et corrigée, qui a créé les communautés de communes et a mis en œuvre le mouvement qui s’est traduit par la généralisation de « l’intercommunalité de projet », la première loi sur les conditions d’exercice des mandats locaux, une autre loi mettant fin au désuet monopole des pompes funèbres… D’autres encore. Tout cela s’inscrivait dans le droit fil de la décentralisation. J’étais, en outre, séduit par les conceptions de Michel Rocard sur la « contractualisation ». Les contrats de plan, par lui inventés, durent toujours. C’est finalement la seule conception de la planification qui fonctionne vraiment dans notre pays : l’engagement contractuel, sur des chiffres et des projets, année après année, entre des partenaires – État, région, collectivités locales – qui savent que tout manquement serait dénoncé par les autres partenaires, a fait la preuve de son efficacité. Michel Rocard est venu d’innombrables fois dans le Loiret – depuis les séminaires de rentrée du PSU organisés à La Source par Michel de La Fournière jusqu’à pratiquement toutes les campagnes électorales. Après deux mandats à la mairie d’Orléans, j’ai été élu à trois reprises sénateur du Loiret, et même une fois au premier tour, lors du scrutin uninominal de 2011. Bien que ce ne fut pas – tant s’en faut ! – l’opinion majoritaire des élus des petites, moyennes et plus grandes communes qui ont voté pour moi, j’ai toujours annoncé que j’étais candidat socialiste, et toujours dit à mes interlocuteurs que j’étais un socialiste rocardien… Ce fut loin d’être neutre. Clairement socialiste – et loin du confusionnisme à la mode – Michel Rocard avait largement contribué à donner au socialisme une vision réformatrice, moderne et ouverte… et nous sommes très nombreux, aujourd’hui encore, à lui devoir beaucoup ! Jean-Pierre Sueur Questeur du Sénat Sénateur du Loiret |
10 janvier 2021 : 30ème anniversaire de la loi Evin |
Claude Evin revient dans un texte inédit sur le rôle de Michel Rocard dans la mise en oeuvre de la loi Evin, dont nous fêtons le 30ème anniversaire
Trente ans après, ce que nous avons semé perdure
Michel Rocard a été ce qu’on appelle un « grand fumeur ». C’est pourtant sans aucune hésitation qu’il a soutenu le projet de loi que, comme ministre chargé de la santé, j’ai présenté pour réduire la consommation de tabac et d’alcool. Si la loi du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme continue, aujourd’hui encore, d’être identifiée sous l’appellation de « loi Evin », je dois rappeler qu’elle n’aurait pas pu aboutir s’il n’y avait pas eu un mouvement plus collectif porté d’abord par des médecins engagés dans la défense de la santé publique. Ils avaient introduit dans le débat public, au cours de la campagne présidentielle de 1988, la nécessité de réduire la consommation de tabac et d’alcool, compte tenu de leur impact sur l’état de santé de la population. Et c’est en s’appuyant sur ce débat public que nous avons pu faire bouger les résistances rencontrées pendant la préparation de ce texte. Ils étaient nombreux ceux qui, au sein même du gouvernement, s’opposaient aux dispositifs prévus dans la loi : le ministre de l’agriculture défendait les producteurs, le ministre du budget la SEITA, le ministre des sports le sponsoring sportif, le ministre de la culture et de la communication la publicité dans la presse et à la radio, … Il n’y eut pas besoin de nombreux comités interministériels pour que le Premier ministre tranche rapidement le débat, s’appuyant justement sur le mouvement déclenché par les professeurs de santé publique. Sur le plan de la méthode, ce rapport entre le politique et la société civile était l’une des caractéristiques du gouvernement de Michel. Rappelons que les deux volets de la loi : la lutte contre l’alcoolisme d’une part et la lutte contre le tabagisme d’autre part, reposaient sur quatre piliers : sortir les produits concernés de l’indice des prix afin de pouvoir les augmenter ; règlementer la publicité en leur faveur (interdiction pour le tabac, encadrement pour l’alcool) ; limiter les lieux de consommation, pour notamment protéger les non-fumeurs et les jeunes (de la consommation d’alcool) ; et enfin, permettre aux associations défendant la santé publique d’engager des actions en justice afin de faire respecter ces dispositions. Le débat parlementaire fut plus vif au Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Les élus des régions viticoles, particulièrement du Languedoc, terre socialiste, y furent les plus virulents. Mais il n’y eut jamais le moindre doute de la part de Michel et de son cabinet quant à l’intérêt de faire adopter le dispositif proposé. Certains accusaient les mesures d’atteinte au droit de propriété ou à la liberté d’entreprendre. Le Conseil constitutionnel, dans une décision qui marquera, avait considéré que les limites qui y étaient apportées dans la mesure où elles étaient proportionnées, trouvaient leur fondement dans le principe constitutionnel de défense de la santé publique. La plupart de ces mesures ont survécu depuis trente ans. C’est l’encadrement de la publicité en faveur des boissons alcooliques qui, à diverses reprises, a été remis en cause, beaucoup plus à l’instigation indirecte des métiers de la publicité qu’à la réelle initiative des activités viticoles, qui ont souvent été mises en avant pour masquer d’autres intérêts. La loi de 1991 est encore aujourd’hui considérée comme une grande loi de santé publique. Avec la création du RMI dont le dispositif a certes évolué depuis, ou la création de la CSG, pour ne citer que deux autres exemples relevant du ministère dont j’avais la charge, elle témoigne encore de la démarche réformatrice impulsée par Michel pendant les seules trois années où il a dirigé le gouvernement. Claude Evin Ancien ministre de la solidarité, de la santé et de la protection sociale |
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