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Afrique : savoir prévenir les crises |
Cet été, le coup d'Etat au Niger, puis - avec toutes ses différences - celui survenu au Gabon, ont surpris les chancelleries occidentales et mis en lumière les faiblesses du renseignement sur les facteurs d'instabilité qui affectent le continent africain. Dans son livre, Pour une autre Afrique, paru en 2001, et où il s'inspire de son expérience de président de la commission du Développement au Parlement européen, Michel Rocard évoque les conditions d'un développement autocentré de l'Afrique et les modalités selon lesquelles l'Europe - notamment - pourrait, dans une politique de long terme, l'appuyer : la paix, la démocratie, la construction d'une puissance publique, l'appui sur le tissu local et les ONG. En quelques lignes, il rappelle également la proposition d'un mécanisme de prévention des crises qu'il avait fait adopter par le Parlement européen mais que la Commission n'avait pas repris dans ses objectifs de négociation avec les organisations régionales africaines. Même si ces propos sont datés, il nous est apparu utile de les rappeler. Ne serait-ce que parce que, comme disait Mao Tse-Toung, "toutes les idées neuves ne sont pas justes et toutes les idées justes ne sont pas neuves".
" Le sixième problème est celui des instruments nécessaires pour repérer de manière aussi précoce que possible les tensions susceptibles de dégénérer en violence. On parle beaucoup de prévenir les crises. Le mot est dans tous les discours, mais personne ne sait comment faire. L'essentiel est l'anticipation. Dans les années 1997 et 1998, c'est-à-dire la période où se préparaient les négociations nécessaires au renouvellement de la Convention de coopération encre l'Union européenne et les soixante et onze États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, le Parlement européen a, à deux reprises mais sans effet, voté sur ma proposition une recommandation à la Commission d'inciter, par cette convention, à la création d'observatoires régionaux des tensions. Il se serait agi de repérer, dans chacune des cinq régions d'Afrique telles que délimitées par le traité d’Abuja, les cas où les tensions ethniques, linguistiques ou religieuses se traduiraient par une aggravation des inégalités dans l'accès à l'école, dans la fonction publique, dans l'armée, ou encore dans le droit de posséder er cultiver la terre. De toutes façons, des outils d'alerte précoce sont indispensables, qu'il s'agisse de services d'organisations internationales ou d’institutions ad hoc. La pression internationale pour des réformes urgentes ne saurait avoir d’autres bases, C'est bien sûr à l'Afrique et à personne d'autre de créer les outils nécessaires et de leur conférer une légitimité, et c’est parfaitement compatible avec ce qui est devenu l’accord de partenariat ACP-UE de Cotonou. L’expertise et le financement, seuls, pourraient être complétés de l’extérieur.
Enfin, le septième problème ouvre sur des perspectives plus générales. Il s'agit d'encourager l'émergence progressive de communautés régionales fortes capables, par pressions mutuelles, de limiter l'irrédentisme intermittent de tel ou rel de leurs membres. C'est notamment à ce niveau qu'il faudrait parvenir à situer la formation des personnels en armes, et leur initiation aux droits de l'homme, au fonctionnement correct de la justice et au maintien de la paix. De solides amorces existent en Afrique de l'Ouest (UEMOA et CEDEAO) et en Afrique australe (SADC). Une UDEAC, mieux équilibrée pourrait aller dans ce sens. Il faut les multiplier et les renforcer. L'Afrique orientale est également engagée dans un processus de structuration régionale. La paix, toutefois, n'est qu'une condition absolument nécessaire du développement. Elle ne suffit point à l'assurer. Il est de moins en moins discuté qu'il y faut aussi la démocratie. Il n’est pas de développement sans une multitude d'initiatives décentralisées. Au-delà de la sécurité physique, juridique et fiscale, l'indépendance de la justice et la liberté de circulation des idées y sont indispensables." UEMOA : Union économique et monétaire de l'ouest africain. Communauté de huit nations de l'Ouest africain, toutes francophones, et tendant à une intégration économique beaucoup plus forte que celle prévue par la CEDEAO qui les englobe toutes. UDEAC : Projet d'une Union des Etats d'Afrique australe. Michel ROCARD Pour une autre Afrique Paris, 2001, Editions Flammarion, 138 p. |
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Sparring partner de Michel Rocard, par Jules Fournier |
Jules Fournier, qui a collaboré à la rédaction d'un des derniers ouvrages de Michel Rocard, Suicide de l'Occident, suicide de l'humanité ?; nous raconte ici sa rencontre avec l'ancien Premier ministre
C’était en novembre 2010. Étudiant en deuxième année de Sciences Po, je lisais fiévreusement une vieille édition cornée du petit ouvrage fondateur de Michel Rocard, Le P.S.U. et l’avenir socialiste de la France. Le soleil parisien de la fin d’après-midi perçait timidement à travers les fenêtres et dans mon esprit en pleine ébullition, les mots, les choses, les concepts s’alignaient, s’orchestraient : le parler vrai n’était visiblement pas toujours un parler simple mais c’était tant mieux : depuis l’époque révolue où il s’adressait à moi, ce que je décryptais de la pensée originelle et originale de Michel Rocard me séduisait. Et ça tombait plutôt bien : je m’apprêtais à le recevoir à Sciences Po pour animer une conférence qu’il viendrait donner sur les pôles.
Fébrile devant un monument d’histoire dont je commençais tout juste à défricher la pensée, l’action, je l’accueillais donc dès le lendemain en Péniche et montais avec lui vers l’amphi dans un ascenseur en fer forgé qui avait traversé bien des époques. Cette conférence ne fut qu’un point de départ : j’en repartais heureux et impressionné sans savoir ce qui m’attendait ; accessoirement, j’en repartais également avec une petite dédicace de son manifeste de 1969. Deux ans et demi plus tard, j’envoyais à son secrétariat un courrier électronique sorti de nulle part, mais nulle part n’est jamais aussi loin qu’on le croit. Je l’avais certes rencontré mais je restais un brin frustré : au-delà de notre timide conversation à travers les étages, au-delà de cette scène partagée devant une bonne centaine de camarades étudiants, nous n’avions pas réellement échangé. Alors j’ai tenté ma chance, et à ma grande surprise il m’a reçu dans ses bureaux des Champs-Élysées, l’ancien Premier ministre et l’étudiant, un rendez-vous dense où les idées se succédaient plus vite encore que les clopes sans filtres dont le débit laissait pourtant peu de place au doute. J’écoutais bouche bée ses longues digressions qui retombaient toujours sur leurs pattes, parce que sa pensée ne restait jamais en suspens : il concluait invariablement, comme pour permettre à de nouvelles idées de germer à la suite des précédentes. Vous commencez un stage chez Goldman Sachs ?, m’avait-il dit à l’époque… C’est formidable : il faut absolument que vous reveniez me voir quand vous l’aurez terminé pour me raconter – il voulait tout savoir, tout comprendre. Lui aussi, m’avait-il expliqué, il était allé à sa sortie de l’ENA non pas au Conseil d’État, où son positionnement politique aurait commandé qu’il atterrisse, mais, sur la suggestion appuyée d’Alain Savary, à l’Inspection des Finances : il fallait comprendre en profondeur les ressorts économiques, financiers, ne pas laisser cet univers à la droite qui en le maîtrisant pouvait garder bien tranquillement les mains sur le gouvernail de notre société. Un premier rendez-vous donc, puis un deuxième quelques mois plus tard pour lui raconter cette expérience où j’ai pu glisser mon pied à travers la porte en lui proposant de l’aider d’une façon ou d’une autre. Son esprit s’est arrêté un instant, une réflexion qui allait ouvrir la voie à tant d’autres : Vous avez déjà écrit, un mémoire peut-être ? Non, pas vraiment à vrai dire mais ce n’était pas bien grave, la confiance se joue si bien des convenances. Les rencontres se sont rapprochées, accélérées, c’était parti, nous allions travailler ensemble, avancer progressivement dans le plan d’un livre qu’il avait esquissé, écrire et se relire l’un l’autre, créer des espaces de bouillonnement intellectuel dans le confort de son bureau débordant de livres, sommes de savoir, écarter les volutes de fumée pour coucher sur mon petit iPad des pensées, des idées, des références qu’on irait, chacun de notre côté, creuser avec appétit pour en discuter à nouveau la fois suivante. Pour le chapitre sur l’effondrement, au-delà bien sûr de Jared Diamond, allez lire Toynbee que j’avais lu dans les années 50… et trouvez aussi si vous y parvenez ce livre injustement méconnu de Pierre Thuillier qui s’appelle La grande implosion. Progressivement, Suicide de l’Occident, suicide de l’humanité ? prenait forme derrière l’avertissement initial : en aucun cas une œuvre scientifique, sociologique, ni économique, ni financière, ni politique, dans l'hypothèse où une telle science existerait, énonçait-il dès l’introduction, déjà ébauchée avant que je n’entre dans la danse. Il poursuivait ainsi :
Au fil des mois, une proximité réelle, sincère s’est installée. Nous avancions chapitre après chapitre, écrivant chacun dans notre coin sur tel sujet ou tel sujet et se faisant relire l’un l’autre – il me demandait de bien vouloir le contredire, le challenger, pour reprendre un vocable qu’il n’aurait certainement pas apprécié, propositions d’autant plus ambiguës que j’étais à la fois tout à fait admiratif de l’homme que j’avais en face de moi mais également tout à fait aligné d’un point de vue des idées. Je n’avais jamais besoin de me demander ce qu’il aurait pu dire ou penser, il me suffisait d’écrire ce que je pensais vrai, ce que je pensais bon et nos positions se retrouvaient alignées. Après tout, il avait singulièrement contribué à me former, à m’appareiller politiquement et intellectuellement. Finalement, cet instrument de combat que nous imaginions composé dans sa première moitié de réflexions sur les problèmes fondamentaux de notre temps, en prenant résolument la perspective du temps long – pas en années, en décennies ; en siècles ! – et qui ouvrirait sur une deuxième moitié faite de pistes visant à proposer une voie alternative se retrouva singulièrement déséquilibré : était-ce le pessimisme qui avait, comme le titre le laissait présager, fini par gagner l’ancien Premier ministre ? En tout cas, les solutions ne pesaient pas grand-chose à côté des constats et seul le chapitre conclusif s’attelait à esquisser des solutions. Pis, des soucis de santé apparus au début de l’année 2015 l’ont empêché d’en faire la promotion, essentielle évidemment pas pour des raisons commerciales ou marketing mais pour promouvoir la vision qui avaient infusé ce travail et qu’un sentiment d’urgence, conjugué à sa volonté éternelle de changer le cours des choses, avaient commandé. En inlassable explorateur du monde des idées, Michel Rocard ne pouvait s’en satisfaire ; il avait déjà soif de nouvelles aventures intellectuelles.
J’allais rapidement le trouver dans son bureau pour qu’il m’expose les prémices du nouveau livre sur lequel il me proposait que nous travaillions ensemble – une réflexion sur le rôle de la gauche, cette gauche qu’il a tant aimée mais qui l’a tant déçu. Vous allez voir, je commence par un long éloge du général de Gaulle… ça va surprendre un bon nombre de nos amis, ça !, m’annonçait-t-il un sourire aux lèvres et des étoiles dans les yeux, enfant malicieux fier de son dernier coup. Il m’a tendu quelques pages dactylographiées par son assistante – j’en voyais encore le manuscrit original sur son bureau, ce trapèze d’encre et d’idées que constituait une page d’écriture de Michel Rocard, graphie impénétrable qu’Emmanuel Macron a déjà joliment diagnostiquée comme caractéristique de cette pensée en liberté qui se jouait des normes et des convenances[1].
S’ensuivait une digression de plusieurs pages, caractéristique de son savoir encyclopédique et de son bouillonnement intellectuel, qui analysait les causes historiques, sociologiques et culturelles profondes de ce déclassement. Le ton était donné. La vie en a décidé autrement. Alors que sa force de travail au moment de s’atteler à ce deuxième ouvrage avait faibli, les rendez-vous de travail ont commencé à devenir des moments d’échange plus longs, plus profonds, plus sincères aussi. Salut mon vieux ! me lançait-il, voix fatiguée œil pétillant, avant de plonger dans un sujet… plus ou moins directement lié à notre travail commun. Il faut dire que le faire parler de tout, de rien, l’entendre analyser un sujet historique, politique, social, lui demander de m’expliquer plus en détail tel ou tel épisode lié à son parcours politique, c’est-à-dire bien souvent à la vie politique et sociale française voire internationale de la deuxième moitié du siècle, c’était à la fois un plaisir véritable et une chance unique – à tel point que, porté par l’euphorie du moment que j’avais la chance de vivre, je me suis laissé aller à plusieurs reprises à lui demander une Gitane pour le simple plaisir de partager une clope avec Michel Rocard dans son bureau… mais les Gitanes sans filtre se méritent et je n’y ai vraiment pris aucun autre plaisir que celui de l’instant, qui les vaut tous. J’avais proposé pour célébrer la sortie de notre premier livre de l’inviter dans un restaurant huppé de la Capitale qui se trouvait au bout de la rue de son nouveau bureau – je n’avais aucune idée de comment j’allais pouvoir financer ça – mais il refusa assez nettement : il était hors de question qu’il laisse un étudiant l’inviter là ; à la limite chez Barbara, et encore ! Alors, plusieurs fois, nous sommes allés dans ce petit bistro du coin de la rue pour prolonger nos discussions autour d’un déjeuner qui s’étirait dans le temps, un verre de blanc qui couvre cinquante ans d’histoire, les regards qui se tournent et les oreilles qui se tendent, une acuité intellectuelle qu’aucune ride n’a pu altérer. J’étais un rocardien fier de l’être, un étudiant chanceux de partager des moments privilégiés avec sa référence politique, intellectuelle et morale, un réceptacle d’idées, d’histoire(s) et, modestement aussi, un sparring partner qui pouvait, dans la mesure de ses capacités bien sûr, contribué à infuser des concepts et des enjeux nouveaux dans la pensée toujours en mouvement de l’ancien Premier ministre. C’était mon rôle, celui du moins qu’il m’avait assigné, et je le prenais à cœur. Ce fut le cas par exemple sur la légalisation du cannabis, que j’avais défendue dans un chapitre du livre que je lui avais remis. Il l’avait lu et la semaine suivante m’avait simplement dit : très bien, alors je m’étais permis de m’interroger : l’avait-il vraiment lu ? Il m’avait confirmé que oui, qu’il avait tout lu et que ça lui allait. Dans un sourire, il m’avait simplement affirmé : vous m’avez convaincu. C’est ce sourire, cette énergie grisante, cette ouverture et cette profondeur d’esprit, cette culture et cet art des concepts, des idées, cette infatigable énergie réformatrice, ce regard critique, ambitieux sur le monde que je veux continuer de porter – c’est chose d’autant plus facile qu’elle est singulièrement ancrée en moi – et de diffuser – tâche toujours plus délicate qu’elle demande un entretien constant, vigilant. Pour son dernier anniversaire, en août 2015, je lui avais offert le DVD d’un film d’Henri Verneuil de 1961, un film dont l’histoire, les dialogues et les acteurs formidables, au premier rang desquels Jean Gabin, m’avaient singulièrement marqué quelques années plus tôt. J’étais en veine : il parait qu’il ne l’avait jamais vu, alors il m’a dit qu’il le regarderait et qu’on en reparlerait. Je ne sais pas s’il l’a regardé, finalement. On m’a dit a posteriori qu’il trônait en tout cas sur sa table de nuit. Le film s’appelait Le Président. [1] Emmanuel Macron, L’Engagé, Rocard par Rocard, Le Un n°114, 6 juillet 2016
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Michel Rocard et l'enseignement supérieur |
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En octobre 1995, quelques mois après l’élection de Jacques Chirac à l’Élysée, et quelques semaines avant une très importante mobilisation sociale contre le plan Juppé sur la réforme des retraites, un mouvement significatif avait gagné les universités françaises, à partir de Rouen et de Toulouse. Si l’allumette qui avait mis le feu aux campus était un rapport remis par le président de l’Université de Marne-la-Vallée, M. Daniel Laurent, qui préconisait entre autres mesures la transformation des bourses en prêts étudiants ou la remise en cause des aides au logement étudiant, le mécontentement était plus profond et plus ancien, en raison de l’insuffisance des locaux universitaires, du manque de postes d’enseignants et des inégalités plus évidentes dans ce contexte entre l’enseignement supérieur général et les grandes écoles.
Pour se sortir de cette difficulté, le ministre de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur, François Bayrou, avait annoncé la tenue, en 1996, d’États généraux de l’enseignement supérieur. Après des débats organisés dans toutes les universités au printemps, ils devaient se poursuivre par des débats à l’Assemblée nationale et au Sénat, avant que le gouvernement n’annonce, fin juin 1996, ses orientations. Michel Rocard, alors sénateur des Yvelines, est intervenu en tant que porte-parole du groupe socialiste dans ce débat, lors de la séance du 4 juin 1996. C'est, avec l'immigration et la politique du renseignement, l'un des trois grands thèmes qu'il a abordés durant les deux années de son mandat de sénateur. En cette période de rentrée universitaire, il nous est apparu intéressant de le rappeler.
M. Michel Rocard. Monsieur le ministre, il était temps !
En effet, si ce débat sur l'enseignement supérieur intervient au Sénat quelques semaines avant que vous ne fassiez connaître vos propositions formelles, il arrive aussi après plus de trois années où la même majorité - sinon les mêmes hommes : c'est votre excuse - a exercé le pouvoir. Or, pendant ces trois années, jusqu'à ce que s'ouvre ce débat, cette majorité n'a pas dit grand-chose ni fait vraiment grand-chose en ce qui concerne l'enseignement supérieur. Mais je ne veux pas, ici, polémiquer. Vous le savez, on m'a reproché de n'avoir pas assez fait, pas assez rapidement ! Pourtant, en trois années, mon gouvernement avait consenti le plus grand effort budgétaire accompli depuis la guerre, revalorisé la condition enseignante en sachant reconnaître et distinguer les fonctions de recherche et les fonctions pédagogiques, créé les instituts universitaires de formation des maîtres, les instituts universitaires professionnalisés, redonné vie à la recherche universitaire, mis en place le plan Université 2000, sans lequel l'université aurait croulé sous le nombre. Vous permettrez à l'inventeur des contrats de plan - j'étais alors ministre du Plan - de se réjouir au passage de l'hymne que vous leur avez consacré tout à l'heure, indiquant l'usage que vous souhaitez en faire, pour le bien de l'université. Avant que cette méthode ne soit mise au point, l'État, arrogant, supérieur à tous ses « sujets », n'aurait su contracter avec aucun de ses administrés ! Mais, je n'entends pas en dire plus sur le passé. Il reste que comparaison vaut parfois raison ! Nous vous attendions. Il était temps ! J'entends, bien sûr, consacrer mon court propos à l'avenir, d'abord en posant quelques questions, puisque nous sommes dans l'attente de décisions, ensuite en vous faisant part de quelques-unes de mes convictions, tout en vous assurant au passage, vous vous en doutez, de mon entier soutien à chacune des propositions de mon ami M. Carrère, qui a accompli un travail très précis, ainsi que vous l'avez reconnu ; nous serons attentifs aux suites qui seront données à ces propositions. Depuis maintenant plus de trente années, le débat sur l'enseignement supérieur et, plus généralement, sur l'éducation n'a pas cessé. Il n'y a là rien que de naturel, à condition que nous gardions en mémoire que nous sommes en présence non pas d'une crise française de l'enseignement supérieur mais - vous le disiez d'ailleurs à peu près dans ces termes - d'une crise mondiale, liée aux changements structurels que tous les systèmes ont dû connaître ces dernières décennies. Nous passons d'une structure pyramidale à une structure cylindrique, avec des effectifs gigantesques, et cela change tout dans notre manière d'aborder et de traiter les problèmes. Faut-il le regretter, comme certains - pas vous, monsieur le ministre - le font dans votre majorité ? Cela serait d'abord inutile, car cette évolution est générale. Cela serait ensuite une erreur, car l'élévation du niveau d'éducation est une absolue nécessité. Cette évolution, aujourd'hui comme hier, pose trois types de problèmes. Elle pose d'abord un problème économique : qui doit payer et comment ? Le coût de l'enseignement supérieur est évidemment lourd. Elle pose ensuite un problème de création de postes d'enseignant, mais aussi de formation des enseignants, sachant qu'en 1950 il y avait 3 000 enseignants dans le supérieur et que vous avez aujourd'hui la charge d'en former 3 000 par an pour combler les besoins. Quelle différence ! Elle pose enfin un problème de logique d'ensemble : comment orienter les jeunes bacheliers ? Comment lier la formation initiale et la formation continue tout au long d'une vie ? Ces questions essentielles exigent des réponses claires. Pour avoir une chance de les apporter, nous devons prendre conscience que le malthusianisme serait une erreur majeure au regard de l'avenir de notre pays. Une certaine droite - je répète que vous n'en êtes pas, mais je veux l'incriminer - a pensé et pense encore peut-être qu'il faut avant tout réduire le nombre d'étudiants. Cela s'est dit, mais, heureusement, pas dans cette enceinte. Non, la sélection a priori n'est pas une réponse, vous l'aviez dit ailleurs, monsieur le ministre, vous l'avez répété ici ce matin, et j'espère que cela engagera tout le Gouvernement à vos côtés. J'ai pourtant quelques inquiétudes, car, dans les choix budgétaires du Gouvernement et dans nombre de déclarations venant de la droite, je ne vois rien qui soit à la hauteur des problèmes qui se posent à nous tous, et particulièrement à vous. Je prendrai trois exemples de nature différente. Premier exemple : nous sommes face à un budget qui prévoit une augmentation quelque peu factice et qui conduira à des restrictions notables. En décembre 1995, vous aviez annoncé la création de 3 000 postes par an jusqu'en 1999. Vous ne fûtes pas tout à fait suivi : en 1996, il doit y avoir, si nous avons bien lu, 1 344 postes, dont 525 régularisations. M. François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Quatre mille postes, dont 2 000 postes d'enseignant ! M. Michel Rocard. Alors, quelque part, des chiffres sont à rectifier dans un document officiel, car je n'ai évidemment pas inventé ceux que j'ai cités ! M. François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Vous avez pris le premier projet de loi ! M. Michel Rocard. Merci de cette précision, qui ira droit au cœur de beaucoup de gens, notamment au mien. Nous allons chercher, en tout cas, pourquoi le chiffre de 1 344 postes, dont 525 régularisations, circule. Issu de la grande maison des finances, j'ai une déformation : je préfère m'en tenir aux documents d'application plutôt qu'à des documents plus généraux. C'est sûrement un travers. Quoi qu'il en soit, je vous souhaite victoire face à Bercy ! Il reste que cela augure mal des moyens qui pourront être avancés demain, alors que la deuxième tranche du plan Université 2000 doit être mise en œuvre. Deuxième exemple : dans les rapports de MM. Bourg-Broc et Dubernard, j'ai découvert le projet de donner aux universités un « statut analogue aux collectivités locales ». Premièrement, ce n'est pas très clair. Deuxièmement, c'est un peu inquiétant. La remise en cause de la loi Savary est une antienne dans votre camp. Cela ne lui a pourtant pas porté chance. La droite a déjà échoué deux fois dans cette entreprise : en 1986 et en 1993. Je ne vous souhaiterai pas bonne chance sur ce sujet. Je souhaite que vous apportiez vite les clarifications nécessaires. Je crois beaucoup à l'autonomie des établissements supérieurs. Permettez-moi une anecdote à ce sujet. Une de mes premières décisions en arrivant à Matignon a été d'arracher une amélioration substantielle du règlement comptable des universités. Je vous dois l'aveu que je n'ai eu que le tiers de ce que je voulais. Bercy est toujours là ! Nous sommes toujours en train de faire attendre nos professeurs associés invités, leur payant leurs frais de mission et leur premier salaire avec trois ou quatre mois de retard, alors que nos propres professeurs, lorsqu'ils sont associés invités à l'étranger, reçoivent leur chèque en arrivant. C'est un problème que je vous engage à régler rapidement. Moi, je n'ai pas pu le régler ; il n'y a donc pas de leçon de ma part, monsieur le ministre, et je serais éperdu d'admiration si vous parveniez à le faire, car cela compte dans la dignité de la maison dont vous avez la charge. Quoi qu'il en soit, autant nous pouvons privilégier l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur, jusqu'à cette conséquence comptable, en favorisant la contractualisation avec l'État - associez à chaque université une fondation, dotez-les patrimonialement ; si vous commencez comme cela, personne ne discutera et, petit à petit, on les verra riches, un jour ; mais, naturellement, ce n'est pas un socialiste partageur et nationalisateur qui vous l'aura dit ! (Sourires.) -, autant nous ne pouvons accepter le pur et simple accroissement des inégalités entre universités riches et universités pauvres, qui est aussi une forme de sélection. Troisième exemple : le jeu sur l'idée du référendum. Je crois savoir, monsieur le ministre, que vous n'y êtes pas absolument favorable ; en tout cas, on ne vous a pas entendu vous déchaîner pour soutenir la cause du référendum ; mais la proposition est sans cesse remise en avant par le RPR. Or que voudrait dire réformer l'université par référendum ? A quelle question sur les premiers cycles universitaires, sur les rapports avec les collectivités locales, etc., peut-on répondre par oui ou par non ? Il y a là un vrai danger de rallumer un antagonisme profond. En tout cas, monsieur le ministre, dans l'histoire de la Ve République, c'est la toute première fois qu'il est ainsi largement fait état d'un référendum sans que quiconque ait la moindre idée de la question sur laquelle il pourrait porter. Cela figurait dans mes notes avant l'ouverture de cette séance. Cependant, après avoir écouté mes collègues avec une attention soutenue, je crois que vous allez pouvoir quitter cette enceinte en clamant que vous avez gagné. En effet, presque aucun des orateurs de votre majorité n'a évoqué le sujet. Le seul qui l'ait fait, qui appartient au groupe du RPR, s'est exprimé avec une extrême prudence, qui devrait conforter votre position : il a posé des conditions rendant le référendum proprement impraticable. Dites donc que vous avez gagné ! Débarrassez-nous de cela ! Croyez-moi, monsieur le ministre, il y aura des gens pour vous comprendre. Cela ne veut pas dire que je suis prêt à vous approuver sur beaucoup d'autres sujets. Il y a entre nous des divergences majeures. J'appartiens à la gauche, je lui suis fidèle, je crois à des choses auxquelles vous ne croyez pas beaucoup. Mais au moins avons-nous là un combat commun. Ne laissez pas mettre le feu à cette convergence des volontés tendues vers le refus de la simplification des problèmes de notre université et à laquelle un référendum improvisé mettrait sans doute fin. Tout cela dessine un contexte qui explique que la confiance n'est pas, aujourd'hui, vraiment au rendez-vous. Les états généraux de l'enseignement supérieur ont été tout aussi formels que le débat sur le service national ! Jusqu'ici, monsieur le ministre, vous avez tenu des propos généraux. Je vois dans l'attention de votre écoute que vous vous préparez à sortir de l'ambiguïté - il est temps ! - quitte à subir, de ce fait, quelques inconvénients. J'en viens à la deuxième partie de mon propos, qui me conduira à vous faire part de quelques-unes de mes convictions. Lire la suite en cliquant sur le lien ci-dessous
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