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Imprimer en recto-verso (version PDF) - Bouton n° 60 - Décembre 2023

Loi immigration : les "bonnes âmes" et la trahison du clerc

Au nombre des "bonnes âmes", qui pourraient trouver à redire à la loi immigration qui vient d'être adoptée dans les conditions que l'on sait, nous convoquerons donc Paul Ricoeur. En 2006, il avait rédigé pour la revue "Esprit" un texte intitulé La condition d'étranger, dans lequel il revenait, à la lumière de l'actualité, sur l'état du droit analysé à l'aune de quelques grands concepts issus de la dimension européenne de la philosophie des Lumières, à travers Fichte et Kant notamment.
Mais l'actualité éclairait son propos car cet article faisait suite à son propre engagement, en 1995, dans le collège des médiateurs réuni pour apporter une réponse humaniste à l'occupation des églises Saint-Ambroise et Saint-Bernard par plusieurs centaines de sans-papiers et à sa participation à une commission sur les étrangers présidée par Stéphane Hessel. C'est d'ailleurs à la demande de ce dernier que Paul Ricoeur avait écrit cet article. Parce qu'aujourd'hui, plus que jamais, certains devraient relire Paul Ricoeur - ou plutôt : certain devrait - nous en avons extrait le passage ci-dessous.
" L'étranger comme immigré

C'est, bien évidemment, à la condition de travailleur étranger qu'il est fait ici référence, condition désignée ailleurs par le terme de Gast­ arbeiter ou Guest workers. Il y a certes d'autres immigrés que les tra­vailleurs étrangers, entre autres les réfugiés admis au bénéfice du droit d'asile dont on parlera plus loin, ou à titre de secours d'urgence à l'occasion des déplacements forcés de populations et des migrations de masse suscitées par la violence de l'histoire. Mais dans le langage ordinaire, dans celui des syndicats, de l'administration et des poli­tiques, c'est bien de travailleurs étrangers qu'il s'agit lorsque le dis­cours public porte sur les émigrés. Et surtout ce sont ceux-là qui sus­citent les problèmes que l'on va dire. Il ne faut pas oublier en effet comment s'est constituée cette catégorie de visiteurs forcés. C'est le besoin de main-d'œuvre peu qualifiée, dans des postes de travail généralement pénibles, qui est à l'origine de ce flux migratoire de grande amplitude. C'est donc le travail, nécessité ordinaire de la vie économique, qui spécifie cette catégorie d'étrangers « chez nous ». Nous ne sommes plus dans le cycle de la liberté de choisir, comme avec les visiteurs de plein gré, mais dans le royaume de la nécessité, plus précisément celle de survivre et de faire vivre des familles géné­ralement restées là-bas au pays. La vie de cette sorte d'étrangers est tracée par d'autres acteurs économiques et politiques qu'eux-mêmes.
Certes, ils habitent l'espace protégé de l'Etat d'accueil, ils circulent librement et sont des consommateurs comme nous, les nationaux ; une part de leur liberté est due à leur participation comme nous à l'économie de marché ; une autre part résulte de leur accès, dans certaines limites, à la protection de l'Etat-providence; ils détiennent des droits syndicaux et bénéficient en principe des mêmes droits au loge­ment que les nationaux ; mais ils ne sont pas des citoyens et sont gou­vernés sans leur consentement. S'ils sont appelés ailleurs des « hôtes », c'est que ce ne sont pas des immigrants à la recherche d'une nouvelle résidence et d'une nouvelle citoyenneté. Ils sont cen­sés retourner chez eux, leur contrat terminé et leur visa expiré. Le droit au regroupement familial leur est compté ; ils sont les premiers à souffrir de la ségrégation par le logement ; le rattrapage culturel est difficile pour eux-mêmes, s'il l'est moins pour leurs enfants ; la ques­tion de leur liberté de culte reste non résolue, même si elle n'est pas fermée ; la résidence étant liée à l'emploi, leur position est d'autant plus précaire qu'ils entrent en concurrence avec les nationaux sur le marché du travail et qu'ils vont grossir l'armée des chômeurs. Mais c'est l'éloignement de leur foyer qui constitue la charge la plus pesante. Leur sort fait ressortir le contraste criant entre la mobilité du travail à l'échelle mondiale et la clôture de l'espace politique de la citoyenneté. A la base de tout, ils n'ont pas contribué à l'histoire silencieuse du vouloir-vivre-ensemble sous-jacent au pacte national. Sur cette réalité se greffent les fantasmes de l'opinion publique, qui s'expriment principalement dans l'amalgame entre travailleurs en situation régulière et étrangers en situation irrégulière, menace à la sécurité, voire terrorisme. Suspicion, méfiance, xénophobie tendent à imprégner la compréhension que les nationaux ont de leur apparte­nance au même espace politique. Si, comme on l'a dit plus haut, cette compréhension comporte tout naturellement un sentiment de diffé­rence avec l'étranger, l'exclusion transforme cette différence en rejet.
La riposte à cette situation dégradée doit se faire à deux niveaux. Le premier est celui de la justice politique due à des travailleurs résidents ; quelque chose est ici à inventer, une sorte d'admission de premier degré, en deçà de l'admission de deuxième degré consistant dans la naturalisation, comportant éventuellement la participation aux élections locales, comme c'est le cas dans certaines démocraties occidentales. Cette admission de premier degré est à négocier avec les États dont les travailleurs étrangers sont originaires, comme ont commencé de le faire certaines conventions déjà existantes ou en cours de négociation. Mais surtout la riposte doit se faire au niveau du droit humain d'hospitalité exploré ci-dessus à l'occasion de la condition dédramatisée de l'étranger comme visiteur. A cet égard, les textes forts de Kant et de Fichte sur l'hospitalité universelle devraient contribuer à changer les législations et auparavant à convertir les mentalités. Le même droit des gens qui régissait jadis la guerre et la paix entre les nations devrait régir de nos jours les rapports entre les pays hôtes et ces visiteurs malgré eux que sont les immigrés du tra­vail."

Paul RICOEUR
Revue Esprit, mars-avril 2006, pp. 264 et sq.
 

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A l'aube de cette nouvelle année, nous sommes heureux de vous adresser, chère lectrice, cher lecteur, tous nos voeux de bonheur.

L'équipe de "Convictions"

Colloque du 1er décembre

Avec plus de cent cinquante participants sur l'ensemble de la journée, le colloque organisé le 1er décember dernier sur "Michel Rocard ou une certaine idée de la politique" a rencontré un vif succès. La qualité des communications, la pertinence du questionnement des discutants et la dimension personnelle des témoignages ont permis de mieux cerner ce qu'il y avait de singulier et d'original dans l'approche que Michel Rocard se faisait de la politique.
Une approche exigeante, fondée sur les idées et non sur les intérêts, une pratique collective, même si la forme partisane de cette organisation collective était souvent source de déception, une morale qui rejetait le cynisme et le fait que la fin puisse justifier les moyens. La communication fut à la fois la force de cette approche particulière du politique, lorsqu'elle tranchait avec la politique, et sa faiblesse lorsqu'elle eut cessé de s'en distinguer ou lorsque l'évolution des formes de la communication politique, encore accentuée aujourd'hui par la prédominence des réseaux sociaux, eut frappé d'obsloscence l'obsession de Michel Rocard pour la pédagogie, la nuance, l'appel à la raison plus qu'à l'émotion.
La nostalgie qui s'est exprimée lors de ce colloque n'était-elle pas aussi un appel à renouveler en profondeur ce qu'est devenue la politique aujourd"hui et la façon dont elle s'exprime ?
 
Puce lien Voir les vidéos du colloque "Michel Rocard ou une certaine idée de la politique"
Echos

Mise au point

Mardi 20 décembre, dans une émission de France Inter, madame Borne a de nouveau cru devoir s’abriter derrière Michel Rocard, mais cette fois, pour justifier l’injustifiable.
Passe encore que ce soit pour tenter de légitimer l’usage qu’elle fait de l’article 49-3 de la Constitution, là où Michel Rocard n’y recourait qu’une fois le débat mené à son terme. Après tout, il y a trente-cinq ans, les oppositions étaient plus respectueuses de l’esprit des institutions.
Mais établir un parallèle, comme elle a tenté de le faire, entre la condition de cinq années de présence en France d’un étranger en situation régulière pour bénéficier du RMI et cette même condition – introduite dans la loi immigration sous la dictée de la droite et de l’extrême-droite – pour bénéficier de l’aide personnalisée au logement ou des prestations familiales, constitue une mystification juridique et une indécence politique. Le RMI – ou la prime d’activité qu’elle a également citée –, revenu différentiel, de substitution, est en effet d'une nature juridique très différente d’une prestation, liée à des déterminants sociaux, et dès lors, il est logique que les conditions d'accès en soient différentes.
Mais il est vrai que, quand Mme Borne en est réduite, dans la même émission, à avouer que le texte qu’elle a demandé au Parlement d’adopter comporte des dispositions inconstitutionnelles, on se dit que le droit, décidément… 
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Inauguration d'une place Tony-Dreyfus dans le 10ème arrondissement de Paris

Le 9 janvier, à 10 h 45, est prévue l'inauguration de la place Tony-Dreyfus dans le 10ème arrondissement de Paris, à l'intersection des rues Bouchardon et du Chateau d'Eau, à proximité de la mairie du 10ème, par Anne Hidalgo, maire de Paris, et Alexandra Cordebard, maire du 10ème arrondissement. Un juste hommage à celui qui, par son action de maire et de député, a profondément transformé ce quartier parisien.
Puce lien Tony Dreyfus, un parcours rocardien dans la fidélité
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Inauguration d'une salle Michel-Rocard à Verneuil-sur-Seine

La municipalité de Verneuil-sur-Seine, commune voisine de Conflans-Sainte-Honorine, et dont Michel Rocard a été le député pendant plus de quinze ans, a décidé, sur proposition du maire M. Fabien Aufrechter et de son adjoint M. Michel Debjay, de donner le nom de Michel Rocard à une salle municipale qui abrite de nombreuses activités associatives de cette localité de la vallée de la Seine. L'inauguration doit avoir lieu le samedi 20 janvier à 18 heures et sera marquée par la projection du documentaire de Jean-Michel Djian "Moi, Michel Rocard, j'irai dormir en Corse".
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Décès de Claude Merriaux, figure historique de Conflans-Sainte-Honorine

Nous avons appris le décès survenu le 17 novembre, à l'âge de 85 ans, de Claude Merriaux, figure historique de la gauche conflanaise. Animateur du comité de quartier de Fin d'Oise, très engagé dans le bénévolat associatif, il sera l'un de ceux qui accompagneront Michel Rocard lorsqu'en 1977, il se présente aux élections municipales à Conflans-Sainte-Honorine. Il était encore présent en mai dernier lors de la présentation, au cinéma de Conflans, du documentaire de Jean-Michel Djian sur Michel Rocard. A son épouse et à sa famille, nous exprimons nos sincères condoléances.
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Une "majorité Pierre Dac" ?

Dans une tribune publiée sur le site Telos, Jean-François Merle, vice-président délégué de MichelRocard.org, revient sur les circonstances de l'adoption d'une motion de rejet de l'examen du projet de loi relatif à l'immigration et à l'insertion par ce qu'il appelle une "majorité Pierre Dac". A lire en cliquant sur le lien ci-dessous.
Puce lien Qui voudrait être gouverné par une "majorité Pierre Dac" ?
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Une date, un moment...

Pierre Bourdereau : Itinéraire en rocardie

Je suis né à la fin des années 50 et j’ai baigné dans une culture politique familiale très mendésiste, mes premiers souvenirs politiques sont les saillies anti-gaullistes de mes parents, leur opposition au régime de la Ve République et leur hostilité à l’élection du Président de la République au suffrage universel ! Mais surtout j’entendis parler très tôt de Michel Rocard, qui incarna la figure d’une gauche renouvelée et plus en phase avec les enjeux de la fin des années 60. Évidemment, je suivis sa campagne présidentielle de 1969 (juste après un référendum dont le résultat fut célébré avec ferveur..), sa première réelle apparition dans le paysage politique français ! Mais ce n’était qu’un avant-goût car peu après, se déroula la fameuse législative partielle d’octobre 1969 au cours de laquelle Michel Rocard l’emporta sur Couve de Murville. Et j’étais aux premières loges, puisqu’habitant d’une des communes de la 4ème circonscription des Yvelines ! Ce fut pour moi un moment fondateur et je revois encore mes parents avec quelques amis et voisins sabrer le champagne.

Déjà actif au sein du lycée (délégué de classe, meneur durant quelques grèves..), je fis la connaissance de plusieurs militants PS (souvent de fraîche date) durant la campagne présidentielle de 1974 et j’adhérais dans la foulée à la section cantonale du PS de Rambouillet dont le CERES avait pris le contrôle, mais où nos amis issus des Assises ont eu très vite un rôle déterminant, agrégeant nombre de nouveaux adhérents (des sabras, comme l’on disait à l’époque) et avec plusieurs d’entre eux je soutins la démarche de Gilles Martinet lors du congrès de Pau (le premier d’une longue liste..) en votant son « amendement». J’ai gardé un excellent souvenir des débats de mon «premier» congrès et je fis connaissance à cette époque de camarades qui deviendront des amis comme Arturo Oliveras, hélas parti trop jeune. Nos réunions de sensibilité (terme couramment employé à l’époque) se tenaient souvent dès 1977 à Conflans-Sainte-Honorine, où nous avions parfois la chance d’écouter Michel Rocard, et plus souvent Jean-Paul Huchon et quelques tacticiens affûtés comme Daniel Frachon. Dès 1976, j’avais participé activement à des campagnes électorales et mon intérêt soutenu pour les sujets électoraux, la géographie et la cartographie électorales, l’historique des scrutins commença à prospérer et je suis resté depuis un analyste passionné de ces sujets.

En 1977 je filais en auto-stop à Nantes pour assister au congrès et le discours de Michel Rocard (les deux cultures) fut fondateur et traça pour moi les points les plus saillants de ce que sera ma colonne vertébrale politique. Et il me fallait être armé politiquement pour aborder la phase suivante de ma vie militante : arrivé à Grenoble pour mes études à l’Institut d’Études Politiques, je participais aux débats épiques des années 1978-81 marquées par le fameux congrès de Metz et la préparation des présidentielles de 1981. Car dans cette fédération de l’Isère «contrôlée» par Louis Mermaz et ses affidés, les militants grenoblois -,rocardiens en majorité - avaient parfois le sentiment de constituer le village gaulois encerclé par les légions romaines (basées à Vienne en l’espèce..). Ce fut aussi une belle période de rencontres et de solides amitiés, puisque j’ai d’emblée côtoyé Michel Destot (avec qui je travaillerai quand il deviendra Maire de Grenoble) mais aussi des personnalités très marquantes et charismatiques comme Kléber Gouyer ou Jean Verlhac - pour ne citer qu’eux - auprès de qui j’apprendrai beaucoup. Outre les débats homériques préparatoires au congrès de Metz, j’ai aussi beaucoup appris des acteurs de la politique municipale de Grenoble, dont Hubert Dubedout évidemment, qui passé par les GAM était culturellement rocardien mais avait fait d’autres choix internes au PS (se plaçant aux côtés de Pierre Mauroy) pour des considérations tactiques qui, selon moi, ne seront pas «récompensées» puisqu’il resta à quai lors de la composition des gouvernements en 1981 – mais ceci est une autre histoire.

L’université réservait aussi à cette époque de belles joutes oratoires et des confrontations fécondes et enflammées me permirent de travailler mon corpus politique comme mon argumentation, car se revendiquer d’une social-démocratie très pro-européenne et d’une volonté réformiste n’était pas toujours un chemin bordé de roses dans des enceintes où les multiples familles trotskistes régnaient, mais avec mes amis du MAS (syndicat étudiant qui à Grenoble comptait nombre de rocardiens) nous avons marqué bien des points aux élections universitaires comme dans certaines AG. Mon intérêt toujours passionné pour la chose publique sous son angle local - à l’échelle d’un territoire dirais-je à présent - a trouvé sa source à Grenoble où j’ai appris et me suis enrichi auprès des acteurs de politiques municipales pionnières, dont l’enseignement m’accompagnera tout au long de ma vie professionnelle.

Laquelle vie professionnelle prit un tournant original en 1980 puisque je rejoignis l’Ambassade de France aux Comores, pour y effectuer mon service au titre de la coopération comme attaché culturel : et cette fabuleuse expérience créa malgré tout une frustration puisque je vécus les grandes heures de 1981 à très grande distance, avec toutefois quelques satisfactions comme la création d’un ministère de la mer dévolu à un certain Louis Le Pensec, avec qui je travaillerai par la suite, la nomination de Michel Rocard ministre d’État et l’arrivée de Jean-Pierre Cot au ministère de la Coopération alors même que j’exerçais une mission dans un pays concerné par une nécessaire régénération de la politique extérieure française : hélas on connaît la suite, la Françafrique avait encore de beaux jours devant elle !

De retour dans l’hexagone en 1982, je plongeais à nouveau dans la politique enchaînant campagnes électorales douloureuses mais riches d’enseignement et où transparaissait déjà le désintérêt pour la chose publique de certains quartiers (municipales de 1983 à Grenoble), et différents emplois qui amorcèrent véritablement mon itinéraire professionnel. Après avoir été assistant parlementaire, je rejoignis un rocardien haut en couleurs, Robert De Caumont, alors député-maire de Briançon, pour être son directeur de cabinet. Un fonceur très proche de Michel Rocard (il aimait rappeler leur compagnonnage chez les scouts au sein des Éclaireurs unionistes) avec qui j’ai participé à mille travaux, car Robert était un créatif, un bourreau de travail jamais à cours de projets souvent très fertiles, parfois plus utopiques ! Mais passé par les GAM et le PSU; «Bob» était un meneur d’hommes, un aménageur dans l’âme qui apporta beaucoup au développement de cette région de montagne assez enclavée. Et quand il n’avait pas eu gain de cause, très coriace, il pouvait se mettre dans des colères subites (mais fondées) ou même entamer une grève de la faim... Dans ce département alpin, aller à n’importe quelle réunion demandait des heures de route et sa voiture était un véritable bureau ambulant dans lequel nous refaisions le monde et affûtions nos tactiques car la (modeste) fédération des Hautes-Alpes était l’objet de luttes de pouvoir et de guerres de positon assez soutenues : les rocardiens vus comme des «néos», voire des pièces rapportées, étaient combattus par des militants de tradition politique plus classique ; ce département a longtemps été un fief radical et nos camarades du sud autour de Daniel Chevalier cultivaient cette tradition. Cela n’empêcha pas notre courant de marquer des points et Robert accompagna l’émergence de jeunes responsables politiques et développa le PS dans nombre de terres de conquête.

C’est à cette période que fréquentant les universités d’été des clubs Forum (d’abord aux Arcs ) j’eus l’occasion de nouer des liens d’amitié et de militantisme avec nombre de membres de notre courant qui devinrent pour certains des responsables d’importance dont un futur Premier ministre, Manuel Valls. Ces rencontres étaient extrêmement riches et nous y étions à bonne école, en particulier lorsque Michel Rocard nous rejoignait pour des échanges politiques et stratégiques de haute volée. Le mot d’Université prenait alors tout son sens. En y repensant, je mesure combien la «matrice rocardienne» a été fertile mais aussi, au vu des trajectoires de certains, comme elle a été la mère de parcours politiques, voire philosophiques, très éclectiques. Je ne ferai pas ici l’inventaire de toutes les familles politiques, avec leurs cousinages variés, que ces rocardiens des années 80-90 ont pu essaimer. En matière de formation, ce fut aussi une intense période de lecture avec les ouvrages de Rocard comme «Parler vrai» ou «Le cœur à l’ouvrage» ou encore celle de l’excellente revue «Faire», dont j’ai conservé précieusement la collection. 1988 année charnière : De Caumont n’est pas réélu député (ce qui montre combien la politique peut être injuste, Robert aurait été un député de très haut vol et très utile durant les années Rocard à Matignon) et pour moi une nouvelle aventure au cœur de la rocardie démarra avec mon recrutement comme conseiller parlementaire puis chef de cabinet et en charge du Parlement par Louis Le Pensec au ministère des DOM-TOM.

Rue Oudinot, ce furent cinq années palpitantes et extrêmement riches car les sujets traités par mon ministre en liens constants avec Michel Rocard (de 88 à 91) ne pouvaient attendre, leur issue était décisive pour la paix en Nouvelle-Calédonie bien sûr, mais aussi dans tous les autres territoires où Louis impulsa une politique novatrice qui revisita en profondeur les relations entre Paris et les «confettis de l’empire». Impossible ici de rapporter l’exhaustivité des questions traitées et des avancées les plus marquantes. Je retiens surtout de ces cinq années à «MEDETOM» que bien des acteurs de l’outre-mer, toutes sensibilités confondues, disent encore aujourd’hui que "le Grand Louis" (surnom du Ministre dans son fief breton) a sans doute été le ministre de l’Outre-mer le plus marquant et au bilan le plus riche de toute la Ve République. L’immense atout de Louis à ce poste était sa longue pratique du terrain acquise dans sa terre de Cornouaille, son appréhension subtile des dossiers dans toute leur complexité, sans à priori mais avec toujours une grande attention aux acteurs. Il sut rapidement se faire accepter et respecter dans tous les territoires par son immense sens de l’ écoute et sa capacité à faire travailler ensemble une infinité d’interlocuteurs. Et bien sûr l’attention jamais démentie de Rocard aux questions ultramarines contribua beaucoup à la réussite de Le Pensec à ce poste : il y était soutenu en haut lieu car le cabinet du Premier Ministre, en particulier grâce au conseiller chargé de l’outre-mer Jean-François Merle, avait intégré cette question comme prioritaire.

Ces cinq années sont riches de souvenirs et d’expériences, il serait vain d’en dresser ici l’inventaire. Mais comment ne pas repenser aux longues séances de nuit à l’Assemblée nationale durant lesquelles le vote de chaque parlementaire ultramarin avait une singulière importance car nous étions, on s’en souvient, en majorité relative. Et comment ne pas évoquer Guy Carcassonne, avec qui j’ai modestement fait équipe quand il s’agissait de désamorcer quelques risques de votes hostiles, voire de motions de censure à l’issue funeste. J’ai beaucoup appris à ses côtés et mes connaissances en droit constitutionnel comme en droit parlementaire ont progressé à son contact. Ces cinq années aux cotés de Louis m’ont aussi permis une fréquentation soutenue des socialistes bretons et j’en ai tiré de fertiles leçons de travail politique ; les rocardiens ont en effet été la locomotive dans cette région où la progression électorale de notre famille politique a été constante et régulière depuis le début des années 70, jusqu’à devenir un bastion. Le travail politique sur le long terme, sur un territoire, avec des projets identifiés et un réseau serré de militants et d’élus locaux, ça paye ! J’eus d’ailleurs le plaisir d’accompagner Louis sur quelques questions bretonnes : réflexion stratégique comme campagnes électorales.

Durant cette période, je militais dans la section du Xe arrondissement parisien, et ce moment politique avait quelque chose de fondateur puisque Tony Dreyfus commençait à s’y implanter, j’ai donc eu le privilège de l’y côtoyer et de mener un travail politique sur un territoire qui à cette époque paraissait être un fief chiraquien inexpugnable. Il n’empêche que Tony et ses proches pointaient déjà une mutation sociologique de cet arrondissement, et celle-ci fut favorable puisque dès 1995 la mairie d’arrondissement était conquise. 1995 justement marqua un autre tournant dans mon itinéraire rocardien puisque le retour du PS avec un maire rocardien à Grenoble, Michel Destot, m’offrit l’opportunité de retourner œuvrer dans la capitale des Alpes comme directeur de la communication. Une nouvelle aventure fort riche là encore, aux cotés d’amis de notre sensibilité, tels Bernard Soulage, Jérome Safar ou des tenants de la démarche initiée dès 1965 par Hubert Dubedout via les GAM, et qui savaient articuler, dans leur travail politique, problématiques de quartier et vision plus large de la chose publique, du local au global… Et en effet Grenoble sut rester un laboratoire de cette « deuxième gauche » dans laquelle nous nous retrouvions, et qui alliait savamment, malgré l'évolution des conjonctures et du contexte, une politique économique et de recherche visant l’excellence comme la lutte contre les inégalités entre quartiers par exemple, une politique sociale volontariste mais aussi la recherche d’un positionnement reconnu à l’échelle internationale. Savoir tenir ainsi les deux bouts de la chaîne est à mon sens éminemment d’essence rocardienne, et avec le recul je pense que c’est un «en mème temps» avant l’heure qui ne manquait ni de sens ni de réussite. Bien des collectivités pilotées par des amis de notre sensibilité ont connu des destinées singulières et des transformations remarquables. Cependant, la fin des années 90 puis le changement de siècle coïncidèrent avec une évolution de notre famille. Non pas pour ce qui est de ses soubassements et de la forte identité d’une culture politique au sein de la gauche, qui perdurent, mais parce que l’évolution du PS et le renouvellement des générations ont modifié à la fois les positionnements individuels mais aussi les jeux d’alliance. Et bien sûr, le retrait progressif de Michel Rocard changea la donne, soulignant par là même que notre aventure collective avait besoin d’une forte locomotive en liens avec des institutions dont par ailleurs nous pouvions être à juste titre fort critiques.

A l’image du rocardisme qui avait tendance à s’éparpiller en moult chapelles et à emprunter des chemins variés, mon itinéraire professionnel devint au fil des années moins marqué du sceau de la famille politique dans laquelle j’ai évolué depuis mes premiers engagements. Cependant, ayant œuvré par la suite aux cotés de Jean-Marc Ayrault à l’Assemblée nationale, auprès de plusieurs maires de grandes villes puis longuement en entreprise ensuite, je ne me suis jamais départi des repères et balises que ma longue fréquentation des sphères rocardiennes m’avait inculqué. Plus profondément, je reste convaincu que les fondamentaux du rocardisme demeurent d’une pertinente actualité et que ce qu’ont été les piliers de mon engagement sont toujours des ferments pour une social-démocratie revisitée. A ce titre, le rocardisme n’est vraiment pas selon moi un vestige du XXe siècle politique mais peut plutôt nous aider à réinventer une vraie «deuxième gauche du XXIe siècle » qui se départisse de vieilles pratiques restées funestes, qui enfin sache à nouveau se colleter au réel et PARLER VRAI.

Pierre BOURDEREAU

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Un projet d'autonomie pour la Corse ?

La Fondation Jean Jaurès publie ce mois-ci un rapport original « Un compromis pour la Corse, une Corse autonome dans la République française ». Yces Colmou, administrateur de l'association MichelRocard.org, est, avec Laurent Cohen et Hugues Le Neuveu-Dejault, l'un des auteurs de ce rapport. Il nous en explique ici la genèse et la portée.
Michel Rocard n’a pas seulement choisi d’aller « dormir en Corse », il avait un rapport particulier avec cette île dont il connaissait bien l’histoire, pourtant à priori bien loin de sa culture. Il l’avait notamment montré dans un grand article dans Le Monde en août 2000 « Jacobins, ne tuez pas la paix » en soutien au processus ouvert par Lionel Jospin et en réaction à l’hostilité de Jean Pierre Chevènement.
Quelques semaines après mai 1968, c’est en Corse que Michel Rocard organise un séminaire des responsables étudiants du PSU sur la violence et la politique…Or justement la violence, les morts ont trop souvent marqué la vie de la Corse. Depuis Aléria en 1975, depuis l’assassinat du préfet Erignac en 1998, les multiples morts des conflits fratricides de la mouvance nationaliste liés autant aux débats politiques qu’aux liens de certains avec la grande criminalité, l’assassinat en prison d’Ivan Colonna, ce sont trop souvent ces épisodes qui ont conduit l’Etat à s’intéresser à la Corse. Pourtant la paix doit d’abord être l’objectif et le moteur pour avancer vers un compromis.
Depuis 1982, c’est la gauche, et tout particulièrement Gaston Defferre, Michel Rocard et Pierre Joxe, Lionel Jospin (dans un clin d’œil, Jean-Claude Casanova note que ce sont les protestants qui ont le mieux compris les Corses), et plus près de nous Manuel Valls et Jean-Michel Baylet qui ont établi et fait évoluer un statut particulier pour la Corse.
Un statut particulier avec une collectivité unique, fusion de la région et des deux départements, avec un régime parlementaire au sein de la collectivité où l’exécutif est distinct de l’assemblée, avec un mode de scrutin différent des autres régions, avec des compétences plus larges. C’est le fruit des lois de 1982, de 1991, de 2002 et de 2015.
Longtemps, la revendication autonomiste et nationaliste est restée minoritaire dans l’expression du suffrage des Corses aux différentes élections. Il n’en va plus de même depuis 2015, et surtout depuis 2017 et 2021. Lors des dernières élections territoriales, au premier tour, 42,41 % des Corses se sont prononcés pour des listes autonomistes et 15,29 % pour des listes nationalistes. Au second tour, le total des suffrages recueillis par ces deux courants s’élève à 67,97 %. De plus, lors des élections législatives de 2017 et de 2022, trois des quatre députés corses sont autonomistes.
Aujourd’hui, un processus a été engagé par le gouvernement et le président de la République. Un processus qui ouvre la porte à « une autonomie à la corse dans la République », à la reconnaissance des « spécificités d’une communauté insulaire, historique, linguistique et culturelle » pour engager une révision constitutionnelle puis un projet de loi organique qui concrétiserait cette autonomie.
Le rapport de la Fondation Jean-Jaurès s’inscrit dans cette perspective. Ce  compromis entre les propositions de la majorité de l’Assemblée de Corse adoptées le 5 juillet 2023 et l’Etat passerait par la reconnaissance de la spécificité Corse dans la constitution, par une loi organique pour en préciser le contenu, par une capacité d’initiative législative hors du champ régalien, par une fiscalité propre à la Corse, corollaire de la responsabilité, par des dispositions spécifiques dans les domaines foncier et immobilier sans créer un statut de résident, par un développement de l’enseignement de la langue corse mais sans co-officialité .
Un compromis suppose que l’on converge. L’aboutissement n’est jamais la position de départ de chacune des parties. Proposer un compromis avant qu’il ne soit signé par les acteurs eux-mêmes, c’est prendre le risque de ne satisfaire personne et d’être critiqué par tous. Trop audacieux pour les uns, trop conservateur pour les autres. L’immobilisme et les postures offrent une forme de confort. Le compromis est un risque. Mais le compromis est l’essence de la social-démocratie. C’est la condition pour le mouvement.

Yves COLMOU





 
Puce lien Pour lire l'intégralité du rapport "Un compromis pour la Corse"
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"Le courant rocardien : histoire et héritages d'un courant politique au prisme de son leader et ses fidèles" thèse de Matthieu Cabanis

Nous avons déjà accueilli dans ces colonnes un texte de Matthieu Cabanis sur la "méthode Rocard", analysée à partir de l'exemple de la Nouvelle-Calédonie. Ce jeune historien bordelais vient de soutenir, le 27 novembre dernier, sa thèsé consacrée au "courant rocardien" au sein du PS, thèse réalisée sous la direction de Mme Christine Bouneau, professeure à l'Université Bordeaux-Montaigne, qui est intervenue dans notre récent colloque consacré à "Michel Rocard, ou une certaine idée de la politique". Matthieu Cabanis nous résume ici l'objet de son étude.
Ce sujet de recherche a été pensé et construit comme une immersion dans les coulisses du courant qui s’est progressivement structuré autour de Michel Rocard. Il s’agit par conséquent d’étudier à la fois les éléments soudeurs, ainsi que les diverses « péripéties » qui se sont jouées dans un contexte et un cadre spatial très précis : celui des partis de gauche. Elle consiste d’abord à voir l’expérience du PSU, car c’est dans cet environnement politique que Michel Rocard se révèle comme une figure d’espoir pour une frange de la gauche socialiste. Le PSU est par conséquent étudié comme un lieu de rencontre entre le leader et des fidèles, jusqu’au premier tournant de 1974.

Le principal fil rouge de ce travail, qui serait aussi une sorte de première conclusion, est que l’histoire du courant rocardien semble être l’histoire d’une grande frustration. Dès l’entrée au Parti socialiste en 1974, les rocardiens peinent à trouver leur place dans un nouvel environnement, qui, au lieu de l’eldorado escompté, se révèle être une jungle hostile. L’arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981 exacerbe ce sentiment de frustration et même, le dédouble. Frustration car François Mitterrand a réussi là où Michel Rocard a échoué, à ses dépends qui plus est. Frustration, car les rocardiens ne trouvent toujours pas leur place dans ce PS victorieux. Une difficulté qui perdure pendant tout le long règne de François Mitterrand. Cette vaste période connaît un enchaînement de situations variées. Si le courant poursuit son affirmation, avec l’ancrage de ses membres au fur et à mesure des différents scrutins, avec la fondation des Clubs Convaincre en 1985, l’élaboration d’un corpus original et des succès internes au PS, la confrontation avec François Mitterrand n’est jamais poussée bien loin. Tel est un des paradoxes du courant rocardien : son apparente inclination vers la réflexion plus que vers l’action politique. Une étude globale du courant peut permettre de le considérer telle une écurie présidentielle qui a d’avantage agi comme think-tank plutôt que comme une organisation politique focalisée sur la conquête et l’exercice du pouvoir.

Michel Rocard lui-même n’a guère contribué à clarifier la stratégie de son courant. Il ne s’est jamais comporté comme un chef (c’est pour cela que nous préférons le terme de leader). Pourtant, les rocardiens ne poussent que très rarement l’émancipation vis-à-vis du meneur. Aussi, l’entourage de Michel Rocard fait preuve d’une grande fidélité à son égard, au point même de perdre une capacité d’influence. Toute la difficulté du courant rocardien a été de suivre les évolutions de stratégie impulsées par Michel Rocard. Ce travail revient sur tous les « revirements » tactiques de Michel Rocard, revirements qui plongent encore plus ses fidèles dans la tourmente par le fait qu’ils ne semblent être que la décision de Michel Rocard et/ou d’un très petit nombre, à l’image du discours de Nantes de 1977 ou de sa démission du ministère de l’Agriculture en 1985. On est donc perplexes devant cette équation rocardienne particulière, avec des rocardiens déchirés entre le devoir de solidarité avec le reste de la famille socialiste et une volonté de marquer leur singularité et une stratégie fluctuante alors que les  deux objectifs sont immuables et clairs : la conquête du Parti socialiste et la succession de François Mitterrand.

Si le premier objectif est atteint en 1993, le succès est de courte durée, avec l’échec final : les élections européennes de 1994 où la contre-performance de Michel Rocard lui barre définitivement la route de l’Élysée, entraîne son éviction de la tête du PS et plonge son courant dans une grave crise existentielle. La « rocardie » est alors confrontée à la question de sa raison d’être et de l’héritage de celui qui fut son inspirateur. L’étude s’intéresse alors à l’émiettement du courant, faute de nouveau leader naturel, entre ceux qui entendent relancer une gauche réformiste au sein du PS et ceux qui tirent la conclusion qu’une telle gauche ne peut exister qu’en dehors des appareils politiques sclérosés. Si ce travail d’étude suit pendant un moment ces deux démarches, il se resserre autour de la première, faisant le constat que la démarche d’une rénovation extérieure atteint rapidement ses limites. Dès lors, l’enjeu est de suivre les rocardiens toujours engagés dans la politique à l’échelle partisane nationale pour voir quels sont leurs cheminements. La question des diverses recompositions du courant rocardien est un premier fil rouge, avec le souci de voir les réorganisations internes au PS autour de personnalités qui pourraient faire office de successeur à Michel Rocard. Cette recherche théorique de l’héritier pousse l’étude jusqu’à la guerre fratricide en 2017 entre deux anciens rocardiens de la nouvelle génération, Manuel Valls et Benoît Hamon, soulevant l’épineux débat de la loyauté en politique. L’étude s’achève sur un aspect plus original et plus abstrait. Nous allons plus loin en soulevant l’hypothèse d’un héritage rocardien qui irait au-delà du strict cadre de la « rocardie », du PS et de la gauche : un héritier extérieur au compagnonnage socialiste, voire un héritage rocardien plus immatériel, précurseur dans une démarche qui transcenderait les clivages politiques traditionnels et qui opérerait une recomposition politique

La principale conclusion est que l’héritage de Michel Rocard est un héritage insaisissable. De manière générale, je défends l’idée que l’héritage est une question d’interprétation, ce que je me suis refusé à faire car cela implique une dimension militante incompatible avec la neutralité exigée de la recherche. Déterminer qui est l’héritier politique d’un tel relève de la subjectivité personnelle, parfois de la stratégie politicienne, et repose essentiellement sur la perception qu’on se fait de la transmission en politique, perception qui implique de hiérarchiser certains facteurs, comme l’idéologie, la façon d’être ou la façon de faire. En filigrane, je me montre sceptique quant à l’existence d’un héritage rocardien qui aurait remodelé l’échiquier politique. En revanche, j’ai voulu mettre en lumière la différence essentielle, car souvent travestie, entre être capable d’échanger et de construire avec des profils différents, tout en conservant sa singularité, et vouloir bâtir un nouveau clivage. Une démarche de Michel Rocard, celle qui m’a conduite initialement à m’interroger sur l’existence d’un nouvel espace politique, ne visait pas à abolir le clivage droite-gauche mais à sortir d’une dimension trop rigide de ce clivage. L’une des conclusions à tirer de mon travail est que le dernier héritage de Michel Rocard pourrait être la conviction qu’entre la négation du clivage droite-gauche et l’obsession de ce même clivage, il y a la possibilité de la co-construction.

Matthieu CABANIS
 
Puce lien Dans "Convictions" n° 45, une analyse de Matthieu Cabanis sur la "méthode Rocard"
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