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Imprimer en recto-verso (version PDF) - Bouton n° 63 - mars 2024

Michel Rocard parle d'Europe

Dans le cadre de la campagne pour les élections européennes, nous avons voulu rappeler l'engagement fort et de longue date de Michel Rocard pour l'Europe. Déjà candidat aux élections européennes de 1979, il siégera finalement à partir de 1994. Même si cette élection fut un échec politique, il n'en marqua pas d'aigreur et s'engagea de toutes ses forces au Parlement européen pendant 15 ans et trois mandats. Il s'occupera notamment des partenariats ACP avec les pays en voie de développement, de la défense de la liberté numérique, de la culture, mais aussi des questions environnementales. Fidèles à notre ligne de conduite, nous n'avons pas cherché à faire parler Michel Rocard de la situation actuelle en France, en Europe et dans le monde. Mais à travers un clip vidéo de quelques minutes, réalisé en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès, nous avons rassemblé diverses interventions qu'il avait faites dans des émissions télévisées ou des spots de campagne allant de 1994 à 2004. Si, évidemment, le contexte a changé ces extraits s'avèrent en grande partie toujours actuels. Il suffit pour s'en apercevoir de remplacer Yougoslavie par Ukraine ou Palestine. Plus que jamais le monde a besoin d'une Europe forte, solidaire et politique comme n'a cessé de l'appeler de ses vœux l'ancien Premier ministre. 
Puce lien Vidéo Michel Rocard et l’Europe

Nouvelle-Calédonie : on peut encore éviter la spirale de l’échec

Le 26 mars, le Sénat doit commencer l’examen d’un projet de loi constitutionnelle (PJLC) dont l’objet est de modifier la composition du corps électoral pour les élections aux assemblées de province et au Congrès de la Nouvelle-Calédonie.

Depuis l’accord de Nouméa de 1998, en effet, seules peuvent voter pour élire ces assemblées locales les personnes (et leurs descendants) qui remplissaient les conditions pour voter au référendum de novembre 1998 approuvant cet accord. Cette restriction, exorbitante du droit commun, prolongeait les accords de Matignon de 1988 et trouvait sa légitimité dans la formation d’une citoyenneté calédonienne, appelée à édifier un destin commun sur le chemin d’une émancipation de la Nouvelle-Calédonie. C’est d’ailleurs en raison de ce processus de décolonisation que cette limitation du droit de suffrage a été validée par toutes les instances internationales.

En février 2007, ce corps électoral restreint avait été gelé – « cristallisé » selon l’expression du rapporteur UMP de l’époque – par une révision constitutionnelle décidée par Jacques Chirac. Pourquoi Jacques Chirac, qui était dans les derniers mois de son deuxième mandat, a-t-il voulu faire adopter ce texte, alors que rien ne l’y contraignait et que ses partisans locaux y étaient opposés ? Pour se faire pardonner Ouvéa et achever son quinquennat « du bon côté de l’Histoire » ? Ce n’est pas impossible. Pour que la France puisse enfin compter, après tant d’échecs, une décolonisation réussie à son actif ? Cela se peut aussi. Si les motivations profondes de cette décision conservent leur part de mystère, comment ne pas inviter députés et sénateurs à y réfléchir attentivement, au moment où ils vont être invités à modifier cette disposition ?

En février 2007, devant le Congrès, le rapporteur avait expliqué que ce gel du corps électoral procédait du « respect du contrat social du 8 novembre 1998 », c’est-à-dire du vote par lequel les Calédoniens avaient approuvé l’accord de Nouméa. Bien entendu, un contrat peut toujours être modifié : en l’espèce, ce serait justifié, juridiquement et politiquement, parce que, vingt-cinq ans après, les critères d’inscription pour les élections provinciales écartent du suffrage plusieurs milliers de natifs de Nouvelle-Calédonie, y compris des Kanak, ainsi que des personnes durablement installées. Mais si un contrat peut être modifié par accord de ceux qui l’ont signé, une modification en l’absence d’accord s’appelle une rupture de contrat.

Or, aujourd’hui, il n’y a pas de perspective d’accord qui porterait sur la seule question du corps électoral pour les élections provinciales. Le FLNKS demande aussi que soient traitées les modalités permettant d’organiser un nouveau référendum d’autodétermination (en particulier la définition des « populations intéressées » susceptibles d’y prendre part) ainsi que des avancées en matière d’émancipation de la Nouvelle-Calédonie, par exemple dans l’exercice partagé avec l’État des compétences régaliennes.

Une partie des non-indépendantistes est prête à avancer dans la recherche d’un accord de bonne foi, pour prolonger les acquis de l’accord de Nouméa. Mais la fraction la plus radicalisée de la droite calédonienne, même si elle affecte de discuter, n’y est pas du tout disposée et compte profiter du PJLC pour empocher la révision du corps électoral provincial sans contrepartie. Pire encore, elle voudrait profiter de ce texte pour modifier la répartition des sièges au Congrès entre les provinces. Elle prétend que cette répartition dénaturerait l’expression du suffrage en assurant une majorité indépendantiste au Congrès alors que les Calédoniens ont rejeté l’indépendance à deux, sinon trois, reprises. Cet argument ne résiste pas à l’examen : pendant plus de trente ans, cette répartition a produit une majorité non-indépendantiste au Congrès, et celle-ci, alors, n’y trouvait rien à redire. Si aux dernières élections provinciales, une majorité indépendantiste est sortie des urnes, c’est parce que les non-indépendantistes sont allés divisés aux élections, division qui leur a fait perdre des sièges.

Mais le plus grave est que cette répartition, qui remonte aux accords de Matignon, est un des deux piliers du compromis historique qui, en 1988, après Ouvéa, a ramené la paix civile en Nouvelle-Calédonie. Le premier pilier, c’est le fait que les indépendantistes aient accepté que tous les présents sur le territoire en 1988 fassent partie du corps électoral pour le référendum initialement prévu en 1998, donc bien au-delà des seuls Kanak et des « victimes de l’histoire ». Le second pilier, c’est quand les non-indépendantistes ont accepté que la décision politique ne procède plus uniquement de la règle majoritaire mais que celle-ci soit corrigée par le rééquilibrage dans la représentation des provinces à dominante kanak au Congrès. Remettre en cause ce second pilier, c’est donc remettre en cause l’équilibre même des accords de Matignon.

Une partie des indépendantistes, entretenue dans l’illusion que le statu quo est possible et lui serait profitable, rejoint la droite radicalisée dans le refus des compromis nécessaires à un accord. Les deux tablent sur le couperet brandi par le gouvernement : soit un accord avant le 1er juillet, soit la rupture unilatérale du contrat de 2007. Jouer sur la contrainte du calendrier est une très mauvaise politique. Le gouvernement n’a-t-il donc rien appris du troisième référendum prévu par l’accord de Nouméa, maintenu contre vents et marées au 12 décembre 2021, boycotté par les Kanak et qui, de ce fait, n’a rien réglé politiquement ? S’il devait persister dans une révision constitutionnelle sans un accord substantiel sur la suite de l’accord de Nouméa, cela renforcerait les Kanak dans la crainte que le gouvernement et les non-indépendantistes veuillent faire « le pays sans nous », selon l’expression popularisée par l’historien calédonien Louis-José Barbançon.

On entrerait alors dans une spirale dangereuse, qui ne peut conduire qu’à l’échec. Depuis 2020, on assiste au détricotage des principes qui, depuis les accords de Matignon et l’accord de Nouméa, avaient assuré la paix civile, le développement et l’émancipation progressive de la Nouvelle-Calédonie : remise en cause de l’impartialité de l’État (notamment avec la nomination de Mme Backès au gouvernement), remise en cause des évolutions décidées par consensus dans le cadre du comité des signataires (le dernier a été réuni par Edouard Philippe en 2020), et aujourd’hui risque d’une remise en cause de la parole de l’État avec la menace d’une rupture unilatérale du contrat de 1998. Il est encore temps d’éviter cette spirale, et de revenir au dialogue dans la recherche d’un accord au service d’une décolonisation réussie.

Jean-François MERLE
Ancien conseiller de Michel Rocard pour l’outre-mer, vice-président délégué de MichelRocard.org

Article publié dans Le Monde daté du 23 mars 2024
Echos

Décès de Claude Alphandéry

Nous avons appris avec tristesse le décès de Claude Alphandéry. Résistant, il s'engagea d'abord dans le communisme après 1945 avant de rompre lors de l'invasion de la Hongrie par les chars soviétiques en 1956.
Haut fonctionnaire puis banquier, il devient ensuite une des figures majeures des patrons de gauche dans les années 1969-1970. Proche de Michel Rocard depuis leur rencontre au Club Jean Moulin, il sera un des experts du courant rocardien, en particulier dans le secteur économique. Quant Michel Rocard est à Matignon, Claude Alphandéry s'engage pour plus de solidarité et contre l'exclusion à travers l'association France Active et en 1991,  le Premier lministre le nomme à la tête du Conseil national de l'insertion par l'activité économique. dans ces fonctions, il sera un pilier du développement de l'économie sociale et solidaire, à l'origine de la création du "Labo de l'ESS".
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Bourse de recherches Pierre-Zémor - Fondation Jean-Jaurès

La Fondation Jean-Jaurès met en place une bourse de recherche pour un travail sur la communication politique et publique, dans une dimension historique et contemporaine, qui s’inscrit dans la poursuite des réflexions menées par Pierre Zémor, administrateur de l'association MichelRocard.org, en lien avec Pierre-Emmanuel Guigo, maître de conférences à l’UPEC, et des représentants de différents centres de recherche. Pour obtenir des informations sur les axes de recherche, cliquez sur le lien ci-dessous.
Puce lien Descriptif des champs de recherche
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Supprimer le droit du sol à Mayotte, est-ce une solution ?

La proposition du ministre de l'intérieur et des outre-mer de modifier les conditions d'exercice du droit du sol à Mayotte en affirmant que cette mesure est de nature à réduire l'immigration clandestine fait l'impasse sur l'histoire compliquée de cette île de l'archipel des Comores, dont elle s'est séparée depuis 1974. Dans un article publié sur le site Telos, Jean-François Merle, ancien conseiller de Michel Rocard pour l'outre-mer et vice-président délégué de MichelRocard.org, revient sur ce passé et explique pourquoi le déni des réalités historiques, géographiques et sociales ne peut pas produire de bonnes solutions.
Puce lien Article de Telos sur Mayotte
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Jeudi 11 avril, une réunion sur Michel Rocard à Marmande

Le cercle de réflexion Dea Dia, de Marmande, animé notamment par Gérard Gouzes, ancien député du Lot-et-Garonne, organise le jeudi 11 avril à 18 h 30 une réunion-débat sur le thème "Michel Rocard, une autre idée de la politique". Cette réunion aura lieu à la salle René-Char de la Médiathèque, 23, rue de la République, et sera animée par Jean-François Merle, vice-président délégué de l'association MichelRocard.org.
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François Cuillandre, maire de Brest

Je dois beaucoup à Michel Rocard. Mon intérêt pour la politique, au sens noble du terme – la vie de la cité – certainement. Mon élection de député en 1997, sans doute…

Sur le premier point, j'ai un vieux souvenir d'enfance. J'avais 14 ans et, après mai 1968, l'élection présidentielle de 1969, suite à la démission du Général de Gaulle, m'intéressait. Je me rappelle, même si le souvenir est lointain, des émissions de télévision où les candidats avaient la parole dans le cadre de la campagne officielle. Mes parents n'avaient pas la télévision, mais je me faisais un devoir d'aller la voir chez ma grand-mère. En noir et blanc bien entendu ! J'ai le souvenir d'un Michel Rocard brillant, dont la parole avait du mal à suivre la pensée ! Déjà… Le résultat n'a pas été à la hauteur de mes espérances : 3,6 % ! Mais pour moi, la graine était semée. J'ai suivi son parcours avec beaucoup d'intérêt, même si je n'ai jamais été adhérent du PSU. La révélation a été les Assises du socialisme en 1974 et son adhésion au PS. Pour moi, le choix était clair et évident : l'avenir de la gauche passait par cette voie !

Pour des raisons diverses, y compris géographiques, je n'ai adhéré au PS qu'en 1977 à Brest. Puis la vie professionnelle m'amena en région parisienne. J'habitais à La Celle-Saint Cloud, dans les Yvelines. Adhérent de la section – j'ai même un temps occupé le poste de secrétaire de section – j'ai eu le grand plaisir de rencontrer à plusieurs reprises les premiers secrétaires fédéraux de l'époque, Daniel Frachon puis Jacques Bellanger. De grands messieurs et rocardiens historiques !

De retour à Brest en 1985, j'ai rapidement pris des responsabilités au sein de la très rocardienne fédération du Finistère : Louis Le Pensec, Bernard Poignant ou la morlaisienne Marie Jacq y jouaient un rôle majeur ! Premier secrétaire de la fédération entre 1990 – après le désastreux congrès de Rennes – jusqu'en 2000 (dans mon secrétariat fédéral, j'avais Jean-Jacques Urvoas et Marylise Le Branchu, eux aussi rocardiens…), j'ai eu l'occasion de recevoir Michel Rocard à de nombreuses reprises : pour l'inauguration du nouveau siège de la fédération à Quimper en 1992 comme lors des campagnes électorales. L'une me restera tristement en mémoire. Tête de liste pour les élections européennes de juin 1994, – il était aussi premier secrétaire national du parti – Michel Rocard était venu animer une réunion à Brest quelques jours avant le scrutin. En bon marin, il sentait venir les vents mauvais… et les coups tordus venant de la liste radicale de gauche menée par Bernard Tapie, et soutenue plus ou moins discrètement par l'Elysée… Et il avait raison ! Le 16 juin, les résultats tombent : la liste menée par Michel Rocard ne fait que 14,49 % des suffrages exprimés (un résultat qui serait en 2024 salué comme une grande victoire !), et celle menée par Bernard Tapie un peu plus de 12 %. Cinq ans auparavant, la liste socialiste menée par Laurent Fabius avait réalisée 23,61 % ! Et ce qui devait arriver arriva : quelques jours plus tard, mis en minorité lors d'un conseil national mémorable, Michel Rocard est contraint de démissionner de son poste de premier secrétaire du PS… et sans doute de renoncer à ses ambitions présidentielles. La boucle était bouclée !

Henri Emmanuelli lui succède à la barre du PS. J'ai souvenir d'une réunion des premiers secrétaires fédéraux peu de temps après. Il nous fait une belle intervention sur le thème de "la barre à gauche". Je prends la parole en lui disant : "Mais Henri, les marins savent que quand tu mets la barre à gauche, le bateau part à droite !". Il me reprend en disant : "non, si tu la maintiens à gauche, le bateau va à gauche !" Et moi : "non, le bateau tourne en rond !". La vie politique permet quelques petits amusements…

Après les élections présidentielles de 1995, Lionel Jospin avait repris la direction du PS. De manière tout à fait improbable, Jacques Chirac, Président de la République, décide de dissoudre l'Assemblée Nationale, un an avant la date normale. En 1993, j'avais été candidat dans la 3ème circonscription du Finistère et réalisé dans cette circonscription une des plus à droite de France (la "terre des prêtres") un score honorable (un peu plus de 43 %) dans un scénario de débâcle catastrophique. Dans le Finistère, seul Louis Le Pensec avait réussi à conserver son siège. De toute justesse à un peu plus de 50 % des voix.

Je m'y représente. La campagne va être courte puisque le premier tour est prévu le 25 mai alors que la dissolution a été décidée le 21 avril. Campagne éclair. Le député sortant ne se représentant pas, la droite, sûre de sa victoire, part divisée. J'arrive en tête au premier tour (27;52 %) mais le total des voix de droite me place largement derrière. Une élection ne tient souvent qu'à un fil et un résultat difficile à décrypter. Au soir du premier tour, nous avions fait une analyse rapide : la victoire ou la défaite se jouerait dans la commune de Saint-Renan, commune votant à droite. Son maire avait été candidat au premier tour en y réalisant un bon résultat. Mais il était éliminé. Michel Rocard m'avait promis d'être à Brest pour une réunion publique le mercredi 28 mai. Que faire durant la journée ? Eh bien sillonner les rues de Saint-Renan, serrer les mains, distribuer des tracts… et faire quelques haltes dans des établissements ouverts au public ! et j'ai découvert un ancien Premier Ministre qui savait aussi, contrairement aux rumeurs, faire campagne électorale !

Au soir du deuxième tour, je suis à l'Hôtel de ville de Brest à attendre les résultats. Nous sommes dans un mouchoir de poche avec le candidat de droite. Reste un résultat qui tarde : celui de Saint-Renan, qui avait voté au premier tour à plus de 60 % pour la droite. Je reçois un appel téléphonique du Préfet qui me dit : "Félicitations Monsieur le député !". Je n'en crois pas mes oreilles, mais enfin le résultat de Saint-Renan tombe : la droite y fait un peu moins de 52 % et je suis élu député avec 50,31 % des voix, soit 360 voix de plus que le candidat de droite. 360 voix quand, à Saint-Renan, il n'a que 135 voix d'avance…

Je dois sans doute en grande partie mon élection à Michel Rocard. Merci Michel et merci Chirac !

La dernière fois que j'ai eu le plaisir de voir Michel à Brest, c'était le 2 octobre 2013. Il était en déplacement à l'Institut Polaire (IPEV) dont le siège est à Brest, dans le cadre de ses fonctions d'ambassadeur chargé des pôles. Il souhaitait dîner et j'avais réservé une salle isolée dans un restaurant du port où j'ai quelques habitudes. Tino Kerdraon, ancien député et rocardien historique, était de la partie. Avant d'attaquer un magnifique plateau de fruits de mer, il me demande un vrai apéritif – un bon whisky –  et s'il peut fumer. Il fumera au moins la moitié d'un paquet de gitanes, enlevant préalablement le filtre ! Je connaissais par la presse ses ennuis de santé. Ainsi va la vie !

Pendant au moins trois heures, nous avons refait le monde, la gauche, le PS, avec de sa part une liberté d'expression totale sur tous les sujets, notamment ceux qui fâchent. Un grand moment !

Décédé en 2016, Michel Rocard aura laissé sa trace dans l'histoire de la gauche française, même si elle aurait pu être plus profonde, et on peut le regretter. Premier Ministre, il l'a été trop peu de temps et sous surveillance. Premier secrétaire du Ps, là aussi dans les mêmes conditions. Mais son empreinte intellectuelle reste indélébile, y compris auprès de ceux qui n'étaient pas officiellement dans son sillage.

Pour trahir ses convictions, encore faut-il en avoir. Michel Rocard en avait et, même s'il a su évoluer dans sa pensée comme dans son action, il y est resté fidèle. Merci Michel !


François CUILLANDRE
Maire de Brest
 
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Le plan Université 2000 vu par Antoine Prost

Le plan Université 2000 est le second gros dossier, en termes financiers, du gouvernement Rocard. Il coûtait au total 24 milliards. Ce fut pourtant beaucoup plus simple que la revalorisation, qui budgétairement ne pesait pas plus lourd.
Le nombre de bacheliers devait augmenter fortement. Jean-Pierre Chevènement avait créé le baccalauréat professionnel et annoncé en 1985 l’objectif de conduire 80 % de la classe d’âge au baccalauréat ; il faisait consensus et Lionel Jospin l’avait repris. Les IUFM qu’il créait, d’une durée de deux années, allaient ajouter une cohorte supplémentaire d’étudiants (65.000 à la rentrée 1992). Les services statistiques anticipaient donc une forte croissance des universités. De fait, de 1,028 million d’étudiants à la rentrée 1986 dans les universités et les IUT, on est passé à 1,246 à la rentrée 1990 et 1,446, IUFM inclus en 1992, soit 420.000 étudiants de plus en six ans.
On était alors vingt ans après 1968 et tout le monde se souvenait de ce séisme, les universités occupées, les étudiants dans la rue, la grève générale, de Gaulle ébranlé et un rétablissement si improbable qu’il tenait du miracle. Accueillir 300 000 étudiants de plus, comme on le prévoyait alors, dans des universités déjà surpeuplées, aurait fait courir le risque d’une explosion aux conséquences imprévisibles. Gouverner, c’est prévoir, dit-on. Rocard gouvernait.
L’enseignement supérieur avait alors une remarquable équipe de direction, dont le directeur de la programmation et du développement universitaire, Armand Frémont, un géographe, qui connaissait dans le détail l’ensemble des universités. Au cabinet de Jospin, Claude Allègre avait pris le dossier en charge, avec passion et discernement. Tous avaient compris qu’il fallait construire des salles de cours, des amphis, des restaurants, des bibliothèques. Encore fallait-il chiffrer ces besoins, en mètres carrés et en millions. Nous nous y sommes employés à Matignon, Alain Bergounioux et moi, travaillant en confiance avec Benoît Chevauchez qui suivait les questions budgétaires. Nous avons apprécié ensemble, chapitre par chapitre, les propositions du ministère qui étaient bien argumentées. Le seul point litigieux fut celui des bibliothèques, où Benoît a pensé un moment pouvoir réduire le nombre de places nécessaires en ouvrant plus longtemps le soir.
Le plus important restait d’obtenir l’accord des Finances sur ce lourd budget d’investissement. Elles étaient certes résignées, conscientes de l’importance de l’enjeu, mais évidemment résolues à ne pas aller trop loin. La principale difficulté fut de gérer Allègre en réunion interministérielle. De tempérament explosif, il prenait à partie leurs représentants avec un mépris et une véhémence qui allait jusqu’à l’insulte. Ce n’était pas la meilleure façon d’améliorer leur compréhension. Je dus un jour élever la voix pour le recadrer, et quelques minutes plus tard, nous avons vu arriver dans la salle où se tenait la réunion interministérielle un gendarme qui est remonté sans rien dire jusqu’à la table où je me tenais. Nous nous demandions tous, soudainement muets, de quelle grave communication il pouvait être porteur. Mais il s’est contenté de fermer la double porte qui était dans mon dos et il a fait demi-tour tandis que la discussion reprenait. De l’autre côté de la porte, les secrétaires avaient protesté de ne plus pouvoir travailler !
Nous sommes arrivés avec Benoît à trouver un accord avec les Finances et le Budget. Il n’a pas été nécessaire de réunir les ministres, comme cela avait été le cas pour entériner l’abandon du corps des professeurs de collège. Nous avons mis en forme l’accord réalisé et nous sommes allés ensemble, Benoît et moi, trouver Huchon, le directeur de cabinet (mais aussi un de mes anciens étudiants en Prep-ENA), en lui disant : « Voilà le Plan Université 2000, il est bouclé ». « Eh, les gars — nous a-t-il répondu — il faut tout de même que je le montre au PM ! ». Nous n’avons pas attendu longtemps, et le plan est venu à l’ordre du jour du Conseil des Ministres, un mercredi suivant.
En fait, un désaccord subsistait, et pas sur un détail. Nous en étions conscients. La veille des conseils, le Secrétaire général du gouvernement, Renaud Denoix de Saint Marc, un grand serviteur de l’État qui — me semble-t-il — appréciait Rocard sans partager le moins du monde ses convictions, faisait habituellement le point sur les communications qui devaient y être présentées. Lors de cet entretien, il avait manifesté un doute, me demandant si j’étais bien sûr que les travaux financés dans le cadre du Plan par les collectivités locales, communes, départements et régions, supporteraient la TVA. Je lui ai répondu que nous avions bien l’accord de tous les ministères sur ce point.
Nous nous trompions. Le ministre du Budget, Charasse, bénéficiait d’un rapport privilégié au Président de la République ; élu local, il ne voulait pas payer la TVA sur ces travaux, alors que comme ministre, il aurait dû être d’avis contraire. Sur le fond, il avait raison : ayant été élu local moi aussi, en 1989, je suis convaincu que les collectivités locales ne se seraient pas investies dans les travaux d’Université 2000 comme elles l’ont fait si elles l’avaient payée. Le lendemain matin, Charasse fit en sorte qu’elles en soient exemptées. Le succès du Plan méritait en effet ce sacrifice.

Antoine PROST
Conseiller auprès du Premier ministre (1988-1991), Historien
 
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Quelle est la place de Michel Rocard dans la genèse de la gauche plurielle (1993-1997) ?, par Elisa Steier

Si Michel Rocard n’a pas véritablement occupé une place centrale dans le processus de construction de la gauche plurielle, son action et ses prises de parole en 1993 et 1994, présentant notamment sa propre vision de l’union et appelant à l’organisation de rencontres, ont néanmoins permis d’amorcer un nouveau processus de réflexion concernant les relations entre partis de gauche et écologistes, prélude à la fabrication concrète de la gauche plurielle.

En février 1993, invité par Laurent Fabius à prendre la parole lors d’un meeting de campagne à Montlouis-sur-Loire, Michel Rocard prononce le discours dit du « big bang ». Constatant les multiples changements auxquels font face la société et le système politique, Michel Rocard affirme que doivent en découler, notamment, des évolutions dans la vie politique à gauche, qui sont assimilées à un « big bang ». La gauche a besoin, selon lui, d’un « vaste mouvement ouvert et moderne », qui inclurait « tout ce que l’écologie compte de réformateur », des centristes proches d’une « tradition sociale », des communistes rénovateurs et enfin, des militants des droits de l’homme. Cependant, les contours de ce mouvement, qu’il nomme aussi « rassemblement », ne sont pas précisés : il est donc difficile d’établir avec certitude s’il est question d’une union entre différents partis politiques ou de la création d’un nouveau parti politique qui accueillerait différentes sensibilités. 

Ce discours rencontre un fort écho médiatique et crée la surprise mais il ne produit aucun effet dans l’immédiat et, surtout, ne suscite pas l’enthousiasme chez les alliés envisagés. Ainsi, les Verts réagissent en affirmant qu’ils ne « s’inscrivent pas dans une démarche de recomposition de la gauche », ni dans « un quelconque “rassemblement des forces de progrès” […] ». Les communistes et les centristes ne sont également pas intéressés. En particulier, la proposition d’intégrer les centristes dans un possible rassemblement, rappelant l’appui de ces derniers à l’Assemblée nationale lorsque Michel Rocard était Premier ministre, ne semble pas du goût de la direction du PCF, qui l’interprète comme une tentative d’éliminer « la notion de gauche », ni des adhérents socialistes, qui s’expriment quelques mois plus tard lors des États généraux de juin et juillet 1993.

Par conséquent, cet élargissement aux centristes n’est plus mis en avant par la suite, mais la nécessité de mettre en œuvre un rapprochement entre les partis de gauche et écologistes semble essaimer. Ainsi, dans la motion présentée lors du congrès du Bourget en octobre 1993 par les principaux courants socialistes, dont le courant rocardien, la stratégie préconisée est celle de la constitution d’une alliance avec « les communistes et les écologistes dans leur diversité, les radicaux de gauche, les hommes et les femmes qui souhaitent participer à ce rassemblement ». Le discours dit du « big bang » présente donc le mérite de remettre au centre de la conversation politique le sujet de la stratégie d’alliances et de susciter des prises de position concernant un éventuel rapprochement entre formations politiques progressistes, question qui était mise de côté à l’échelle nationale depuis le départ des ministres communistes du gouvernement Mauroy en 1984. Ce discours est également révélateur d’un arrière-plan électoral : les suffrages recueillis par les socialistes diminuent au début des années 1990 et ils ont donc intérêt à rechercher des alliés en vue des élections européennes de 1994 et de l’élection présidentielle de 1995, d’autant plus que Michel Rocard projette, dès 1991, d’être candidat à la seconde. 

Si le « big bang » appelé de ses vœux par Michel Rocard n’est pas créé dans l’immédiat, le discours ouvre la porte à des rencontres en 1994 entre des personnalités issues de différentes formations politiques progressistes. En effet, en avril 1993, peu de temps après la défaite de la gauche, et en particulier du PS, aux élections législatives, Michel Rocard devient Premier secrétaire du parti qu’il a rejoint en 1974. Son mandat est clair : il doit d’une part redonner la parole aux militants, ce qui a été fait par le biais des États généraux évoqués plus haut, mais aussi organiser des Assises de la transformation sociale, afin de renouer le contact avec les autres formations progressistes. Michel Rocard réitère d’ailleurs sa volonté de mettre en œuvre ces Assises lors du discours de clôture du congrès du Bourget en octobre 1993. Il appelle en effet à un « travail de rapprochement doctrinal » afin « d’œuvrer pour toute la gauche ». Il donne donc encore une fois un élan en faveur d’une reprise du dialogue et d’un rapprochement.  

Les Assises sont lancées début janvier 1994 dans un appel signé par 746 personnalités politiques ou associatives, dont Michel Rocard, et publié dans le journal Le Monde. Quatre rencontres ont lieu durant l’année 1994. Toutefois, il est à noter que si l’idée des Assises découle en grande partie de la vision de Michel Rocard, celui-ci n’est pas au premier plan dans l’organisation de ces débats, sans doute parce qu’il est également accaparé par la préparation des élections européennes et l’opposition au gouvernement d’Édouard Balladur. Ainsi, il ne fait pas partie du comité de pilotage des Assises et charge Lionel Jospin de la coordination. Il participe aux deux premières rencontres, à Paris en février 1994 et à Rennes en avril 1994, mais sans longues prises de parole. Toutefois, cela ne l’empêche pas de réaliser des contacts informels avec certains membres d’autres partis et de réitérer son souhait d’une « nouvelle alliance » pour rassembler toutes les forces de gauche. Cependant, suite à sa défaite aux élections européennes de 1994, la liste socialiste ne rassemblant qu’un peu plus de 14 % des suffrages exprimés, Michel Rocard est mis en minorité lors du Conseil national du 19 juin 1994 et doit démissionner de son poste de Premier secrétaire. Absent, désormais, de la direction du Parti socialiste, il ne participe pas à la rencontre de Vaulx-en-Velin en septembre 1994 mais intervient à celle de décembre à Paris. 

On peut ainsi considérer que Michel Rocard a joué un rôle important dans les débuts du processus aboutissant à la création de la gauche plurielle en 1997, en proposant de renouveler et de relancer le rapprochement entre les forces progressistes en 1993, puis en permettant et en encourageant, une fois à la tête du PS, l’organisation des Assises qui ont permis l’émergence d’un dialogue autrefois tari au sein de la gauche. Toutefois, sa mise en retrait de la direction du PS et son investissement dans un mandat de député européen le tiennent éloigné de la poursuite des discussions entre les forces progressistes et des négociations, débutant en 1996, pour d’éventuelles alliances. Michel Rocard n’a donc pas participé à l’aboutissement du processus de création de la gauche plurielle mais en a esquissé les prémices.

Élisa STEIER
Université Paris 1,
prix de la Fondation Jean Jaurés 

Puce lien Livre d’Élisa Steier sur la genèse de la gauche plurielle
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